La solitude urbaine, au cœur des politiques publiques ?

Logement
La solitude urbaine

La solitude urbaine serait-elle devenue une préoccupation politique à part entière ? Cette crainte est-elle liée uniquement à la crise sanitaire ? Ou n’est-ce que l’émergence d’une crise latente ?

 

Un ministère dédié à la solitude urbaine au Japon

Au Japon, le gouvernement compte depuis début mars un ministère chargé de venir en aide aux personnes isolées par la crise sanitaire. Une nécessité dans un pays qui compte depuis un an 21 000 suicides, soit un bond de plus de 16 % par rapport aux années précédentes. La hausse a été particulièrement spectaculaire chez les femmes et les jeunes, comparé à la même période en 2019. En cause, la précarité engendrée par la crise sanitaire et la pression liée à la poursuite de la scolarité, déjà forte en temps normale et accentuée à l’heure du covid.

Ce n’est pas la première fois que le Japon se penche sur l’isolement des citadins, à travers un ministère spécifique. Lors de la crise économique qui frappe le Japon dans les années 1990, est apparu le phénomène des « hikikomori ». Ces derniers refusent de sortir de chez eux, de travailler et n’ont plus aucune relation sociale. Ils ne souffrent d’aucun trouble mental. Manifestation d’un mal-être ou protestation contre une société exigeante, hyper-compétitive ? Ou tout simplement tentative d’échapper à la foule, au bruit, à la pollution des villes ? Face à ces individus qui décident de se retirer du monde, des travailleurs sociaux se chargent de progressivement les aider à se réinsérer.

Le phénomène est loin d’avoir disparu avec la reprise économique. En 2016, le gouvernement japonais estimait le nombre de hikikomori à 540 000 parmi les 15-39 ans. Il s’est étendu à tous les âges et toutes les couches de la société. Aujourd’hui, près de 2 millions de Japonais seraient des hikikomori.

 

Une préoccupation politique antérieure à la crise du covid

La solitude urbaine est donc loin d’être un phénomène nouveau, ni même spécifiquement japonais ! « Pour un trop grand nombre de personnes, la solitude est la triste réalité de la vie moderne » reconnaissait en 2018 Theresa May, alors premier ministre britannique. Elle instaure un secrétariat d’Etat chargé – entre autres missions – de la solitude pour venir en aide aux 9 millions de personnes concernées par le phénomène. Signe des temps, le gouvernement actuel a maintenu la charge.

 

Des réactions inégales face à la solitude

La France est également touchée par le phénomène de la solitude. Pas moins de 7 millions de personnes se trouveraient en situation d’isolement selon la Fondation de France, soit 14% des Français. Ils n’étaient que 9% en 2010. Un sondage de l’association Astrée en janvier 2021 indique de 18% des Français disent souffrir de solitude depuis un an. Or tout le monde n’est pas à égalité devant ce sentiment. Les jeunes ressentent le plus durement ce sentiment de solitude. En France, il touche 27% des 18–24 ans contre 10% des 65–74 ans.

L’explication est assez simple. Etant souvent plus isolées, les personnes âgées – ou handicapées ou souffrant de maladie chronique- ont moins ressenti le poids du confinement. Ce qui ne rend pas leur situation moins préoccupante. 300 000 personnes âgées, rappelle un récent rapport des Petits Frères des Pauvres sont en état de mort sociale, sans contact avec leur entourage.  

Nombre d’entre elles avaient été sensibles à l’élan de solidarité durant le confinement de mars 2020. Un mouvement qui restera sans suite pour les deux tiers d’entre elles. Cela n’étonne pas Hélène Romano, psychothérapeute. « L’expérience des personnes âgées leur permet d’être dans le juste. En exprimant cette crainte, elles sont simplement réalistes. On sait malheureusement que lors des crises, la solidarité de certains s’inscrit dans le court terme… L’expérience des personnes âgées leur permet de savoir, qu’en effet, la temporalité conduit l’être humain, très rapidement, à passer à autre chose et surtout à éviter les problèmes qui fâchent. La sérénité et la lucidité dont elles font preuve sur cette question illustrent bien l’intérêt de les écouter. »

 

Les risques de la solitude d’une part…

On connaît bien les effets de la solitude, urbaine ou non : risques de diabète et de maladies cardio-vasculaires démultipliés, accentuation des maladies mentales, dégradation des fonctions cognitives. Au contraire, une vie sociale plus riche augmente l’espérance de vie. Or cet isolement social semble plus lié à l’environnement urbain. Dans les campagnes, la solidarité, les occasions de rencontres sont multiples et appréciées. Il est plus facile de se connaître entre voisins. Aujourd’hui, la solitude est un fait surtout urbain.

 

… et des logements urbains qui favorisent l’isolement d’autre part

Et elle est d’autant plus préoccupante que plus de 50% de la population mondiale vit aujourd’hui en ville. Un phénomène en expansion : le taux devrait être de 68% en 2050.

Or la ville actuelle correspond-elle vraiment aux besoins des humains ? « Les villes aujourd’hui sont conçues comme des mécaniques urbaines. Or la ville est un système vivant, fondé sur des rapports sociaux vivants. Ces derniers sont donc difficiles à prévoir, à encadrer » explique le réalisateur Philippe Couture à la tête du projet Ecosquared.

De fait, l’espace urbain, tout comme la conception des logements est guidée par le marché, et non par le bien-être des habitants. Les prix du foncier atteignent des sommets stratosphériques dans les grandes villes. Les nouveaux logements sont « petits et mal fichus » pour reprendre le titre d’un débat organisé par l’Institut des hautes études pour l’action et le logement (Idheal). Les appartements actuels sont de plus en plus profonds et étroits. Ils sont empilés, mono-orientés et « se battent pour une petite portion de façade» remarque Alexandre Neagu, architecte et enseignant à l’Ensa de Montpellier et à Paris-Nanterre. Bref rien d’engageant pour favoriser le bien-être et l’épanouissement des habitants. En revanche, un concept idéal pour favoriser la solitude urbaine.

 

Des solutions au sentiment de solitude ?

Des chercheurs ont établi, à travers plusieurs études, un lien entre sentiment de bien-être et logement. « Le passage d’un appartement à une maison avec jardin, bénéficiant d’une plus vue dégagée et d’une rue mieux entretenue, diminue le sentiment de solitude ». De même, l’entretien d’une rue, la présence d’espaces verts participe au sentiment de bien-être. La sociabilité positive avec les voisins est également un facteur. Elle s’exprime plus facilement autour d’espaces communs ou de lieux de rencontre clairs et accueillants.

Une donnée que les architectes prennent davantage en compte. « Je favorise les circulations très éclairées qui donnent des vues sur le paysage. Ces circulations très claires évitent de passer brutalement de la rue à un couloir tout noir pour arriver chez soi… Et favorisent les rencontres » souligne l’architecte Alessandro Mosca, qui a travaillé sur plusieurs logements sociaux. Le promoteur Jean-Raphaël Nicolini est également convaincu que les projets immobiliers doivent aujourd’hui faire une place aux espaces communs : «On demande aux gens ce qu’ils imaginent en faire. Certains veulent un lieu pour travailler, d’autres une chambre d’amis.» 

 

Contre la solitude en ville, changer sa façon d’habiter

En attendant, les citadins n’hésitent plus à s’éloigner des grandes villes. Ils se rapprochent de la campagne ou s’installent dans des centres urbains de plus petites taille. L’un des attraits majeurs est certes d’obtenir plus d’espace. « Passer d’un appartement à une maison augmenterait sensiblement la sensation de bien-être, ce que l’on peut associer directement à une amélioration de la santé mentale et même de la santé physique » ont remarqué des chercheurs de l’université de Glasgow.

Il existe bien sûr des solutions autres que le départ vers la campagne. Même si le parcours est semé de difficultés en tous genre, l’habitat participatif attire de plus en plus. L’échange et la sociabilité est au coeur du concept. Les habitants renoncent à de l’espace privé pour se concentrer sur des espaces communs de qualité. Ce n’est pas de tout repos, les relations entre voisins ne ressemblent pas forcément à un long fleuve tranquille. Mais chacun vit dans le logement qui lui correspond et sait qu’il peut compter sur ses voisins pour s’entraider et partager.

Enfin, pour contrer la solitude urbaine et garder des relations sociales, la colocation ou le coliving s’expriment sous toutes les formes : intergénérationnelle, familles monoparentales ou juste par affinités, la colocation est le moyen de faire l’expérience du vivre ensemble et d’apprendre des autres, mais aussi de soi… Une nécessité selon Virginia Perez Nieto, country manager pour The Student Hotel, vivre ensemble de façon harmonieuse n’est pas seulement une question de solitude mais « permet à chacun de se sentir accepté et reconnu. »

 

Pour tout savoir sur les tendances de la co-location, consultez la rubrique “Logement” du blog de COOLOC. Et inscrivez-vous à la newsletter pour ne rater aucun article !

Crédit photo : Samuel McGinity