Logements sociaux : vers un renouveau ?

Témoignages
Logements sociaux : vers un renouveau selon Alessandro Mosca

Assisterait-on à une révolution dans la conception des logements sociaux ? Il existe bien sûr des contraintes de construction, d’espaces et de financement. Mais les architectes ont à cœur de concevoir des logements qui prennent en compte l’évolution des modes de vie et favorisent la mixité sociale.

C’est ce dont témoigne le projet de réhabilitation urbaine avec le remplacement de l’immeuble de l’office HLM de la Poste, Toit et Joie à L’Haÿ-les-Roses. Cette barre datant de l’après-guerre va être progressivement remplacée par plusieurs bâtiments. Ils compteront des logements sociaux, certains adaptés aux personnes âgées, des logements étudiants et des logements en accession sociale à la propriété.

Alessandro Mosca, architecte de l’Atelier Mosca, fait partie du groupement d’architectes dont le projet a été retenu. Il explique comment, malgré les contraintes, le logement social cherche à s’adapter aux besoins de ses habitants.

 

Un renouveau architectural pour les logements sociaux ?

COOLOC : Lorsqu’on parle de logements sociaux, on pense à de grandes barres d’immeubles. Est-ce encore le cas aujourd’hui ?

Alessandro Mosca : Comment réfléchir le logement aujourd’hui par rapport à la situation sociale, environnementale, économique ? Nous assistons à une évolution des logements. Pour le logement social, le contexte est d’autant plus compliqué que les contraintes de financement et la capacité des populations à honorer les loyers influencent la construction. Il ne faut pas mettre les familles en situation de difficulté. Nous devons donc travailler en prenant en compte les contraintes d’espace mais aussi nous battre pour donner plus de surface aux logements.

Le problème est donc de comprendre comment faire évoluer les typologies des appartements. La réflexion s’articule autour de 3 axes principaux :

  • Une pièce en plus. Elle permet d’assurer la mutation dans le logement en fonction des usages et des besoins des habitants.
  • Tous les logements devraient disposer d’un espace extérieur. C’est une demande particulièrement importante depuis le mois de mars. Pour le projet de Toit & Joie à l’Haÿ-les-Roses, notre choix a été de prévoir, dans les grands logements, une loggia qui articule les espaces. Elle peut être appropriée par le séjour, la cuisine ou les chambres…. Il ne s’agit pas d’un balcon mais d’une pièce intermédiaire entre intérieur et extérieur.
  • Réfléchir l’espace du logement à partir de l’espace neutre. Toutes les pièces ont la même taille.  Cela permet de favoriser le déplacement des usages à l’intérieur. Ainsi, au Lavoir du Buisson, l’un des premiers habitats participatifs parisiens, l’architecte Bernard Kohn avait mis deux portes d’entrée à chaque logement. Les logements peuvent être redécoupés de façon différente selon les besoins des habitants. Il est par exemple possible d’isoler une pièce pour la transformer en studio indépendant.

 

S’inspirer des logements participatifs

Alessandro Mosca : On peut imaginer d’aller plus loin en s’inspirant des habitats participatifs en Suisse et en Autriche. Bien sûr, le cas est différent car il s’agit d’initiatives privées menées avec l’appui des municipalités. Mais ils prévoient des espaces au service de tous les habitants, par exemple une salle qui peut servir à fêter un évènement, ou pourrait être utile en cas d’école à distance.

Avec les logements sociaux, la question est de savoir comment le coût de ces espaces pourra être couvert par les loyers ?

 

Une réhabilitation difficile

COOLOC : Comment la question a-t-elle été résolue dans le projet de L’Haÿ-les-Roses ?

Alessandro Mosca :  Le bâtiment de L’Haÿ-les-Roses, géré par Toit et Joie est symbolique. Il s’agit du premier logement social construit par l’office HLM de la Poste. Il servait, à l’origine à loger les postiers. Construit après-guerre, c’est une grande barre de 83 logements. Il est entré aujourd’hui dans un processus d’obsolescence technique, thermique et peut-être aussi dans son organisation en tant que tel puisqu’il ne répond plus à la question du comment habiter aujourd’hui.

La réhabilitation était compliquée. Toit et Joie est donc entré dans un processus de transformation. Il ne s’agit pas seulement de refaire du logement social. Il y a toute une réflexion sur la taille du site, mais aussi les enjeux du développement de la métropole du Grand Paris, de l’arrivée du métro…

 

Une rénovation fondée sur la mixité

Il en ressort un programme qui s’équilibre sur 3 grands axes :

  • Comment reloger la population qui habite sur place avec des logements plus adaptés à leur vie aujourd’hui
  • Continuer la mission de logement social
  • Réfléchir à des programmes thématiques
  • Favoriser le processus d’acquisition sociale

L’immeuble d’aujourd’hui va être démoli en deux phases, afin de pouvoir reloger sur place les habitants dont les logements vont être détruits. L’opération est menée en concertation avec la gestion locative de Toit et Joie pour gérer les phases de relogement sur le site, un enjeu fort du projet.

Le nouveau site s’articulera autour de 4 programmes :

  • un programme de logements adaptés aux besoins des habitants, qui puissent évoluer avec le temps. Il s’agit, par exemple de donner la possibilité de transformer deux chambres en très grand séjour. C’est donc la capacité de la réversibilité des usages à l’intérieur.
  • Un programme de logements étudiants
  • Un programme de logements en acquisition sociale.

Moi, je m’occupe des logements sociaux, qui représentent un gros tiers de l’opération.

Le projet n’est pas organisé en fonction des immeubles, mais au sein d’un grand espace vert. L’association Veni Verdi en assure la gestion. Des agriculteurs seront présents pour gérer les jardins avec les habitants au sein d’un système collaboratif et pédagogique autour de l’agriculture urbaine. Il y aura donc un jardin ainsi qu’une partie consacrée à la production agricole. Cela permettra de mener une réflexion sur ce que peut être une agriculture urbaine gérée avec des associations.

 

La mixité proposée par une équipe d’architectes collaborative

Pour répondre à ce concours d’architecture, nous nous sommes associés à 3 agences d’architecture – Agence d’architecture Suzel Brout mandataire, Abba et Alessandro Mosca. L’idée est de nous placer nous-mêmes dans ce travail collaboratif et d’échanges au cours du processus de conception.

C’est un choix que Toit et Joie a apprécié. Ils ont vu des gens qui réfléchissaient à comment être différents et être ensemble et qui travaillaient sur un projet qui avait à la fois une unité et des différences. Cela permet de fabriquer un projet peut être plus intelligent que de grands projets conçus par une seule équipe d’architectes.

 

Des logements sociaux qui offrent des possibles

COOLOC : Comment faire des logements sociaux qui s’adaptent aux besoins des gens ?

Alessandro Mosca :  Quand on fait des logements, on se demande comment répondre au programme et ouvrir des possibles.

Je viens, par exemple, de livrer un projet de logement social à Montreuil. Tous les toits sont végétalisés. Au bout des couloirs, des portes vitrées permettent d’y accéder. Ces toits peuvent donc devenir des lieux d’agriculture, des espaces de jeux pour les enfants… Ce qui m’importe est faire en sorte que ces possibles existent. Dans les logements sociaux, c’est normalement le bailleur qui peut donner vie à ces possibles. Parfois, il arrive aussi que d’autres s’en emparent. Pendant le confinement, nous n’avons pas pu faire les plantations. Or un des locataires, qui est jardinier, a commencé à installer des plantes.

 

Favoriser le vivre ensemble

COOLOC : Comment inciter au vivre ensemble ?

Alessandro Mosca : Il faut faire en sorte qu’il y ait des scansions qui marquent le passage aux différents lieux, du public vers le collectif et les lieux du privé qui permettent de se rencontrer.

Je travaille dans des lieux très contraints. Souvent la solution passe par une rue intérieure ou un espace de déplacement intérieur. Je favorise les circulations très éclairées qui donnent des vues sur le paysage. Ces circulations très claires évitent de passer brutalement de la rue à un couloir tout noir pour arriver chez soi… Et favorisent les rencontres.

A Montreuil, une vaste rue dessert l’ensemble des jardins et des habitations. A L’Haÿ-les-Roses, une grande allée organise ces espaces intermédiaires entre le collectif et le privé. C’est aussi le rôle des jardins thématisés. Lorsque personnes âgées, étudiants et familles se côtoient au quotidien, ces espaces deviennent des possibles, des lieux de rencontre. Par exemple, les personnes âgées peuvent s’entendre avec des étudiants qui viennent s’occuper d’elles. Les étudiants peuvent proposer du soutien scolaire aux familles.

Cela passe aussi par des petites choses. Les bailleurs sociaux acceptent que j’ajoute une bibliothèque dans mes espaces. A L’Haÿ-les-Roses, des points livres sont prévus, qui serviront de points de rencontre.

 

Des logements qui évoluent avec leurs habitants

COOLOC : Comment permettre aux logements de s’adapter aux besoins des habitants ?

Alessandro Mosca : Nous devons proposer des espaces qui vont permettre de continuer à vivre, à travailler, à apprendre.

Nous avons remarqué, en visitant les lieux que nous avons construits, qu’il y a de moins en moins de bureaux dans les logements des gens. On se retrouve ainsi avec une table de salle à manger qui sert à tout. Peut-être faut-il penser ces espaces de différenciation. Nous en avons fait l’expérience pendant le confinement. J’ai 70 étudiants en visioconférence par semaine. J’ai pu constater que l’espace ne permettait pas de rester chez soi pour apprendre et travailler. Il faut donc réfléchir à des espaces qui s’adaptent aux contraintes.

Je viens de faire un projet où j’ai mis deux portes aux chambres afin de donner plus de possibles. Soit la chambre est liée au séjour et participe à la vie de famille, soit elle peut s’isoler. De plus, il est nécessaire de donner le maximum d’espaces aux pièces.

Peut-être que ces idées d’espaces neutres ou des pièces qui s’adaptent aux changements est intéressante. Nous réfléchissons, nous nous questionnons sur ces sujets et les contraintes afférentes, nous proposons des solutions. Mais ce n’est pas pour autant que nous avons les réponses définitives !

 

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Crédit photo : MOSCA