Entraide et solidarité, les vraies lois de la nature ?

Vie quotidienne
entraide et solidarité

A l’encontre des idées reçues sur le monde sauvage, entraide et solidarité sont les lois de la nature. C’est une réalité pour tous les êtres vivants… Et l’homme ne fait pas exception ! Bonne nouvelle : après presque deux siècles où la loi du plus fort s’est imposée comme la norme, la tendance, aujourd’hui, est de faire de l’entraide et de la solidarité le cœur de notre système.

 

La loi de la jungle n’existe pas… dans la jungle

Rousseau en son temps idéalisait le mythe de l’homme à l’état de nature. Et il n’était peut-être pas si loin que cela de la vérité. En effet, remarque le biologiste Pablo Servigne, auteur de L’entraide, l’autre loi de la jungle, les sciences humaines comme les autres animaux, les plantes et jusqu’aux micro-organismes ont, de tous temps, pratiqué l’entraide et la solidarité. « Ceux qui survivent le mieux aux conditions difficiles ne sont pas forcément les plus forts, mais ceux qui s’entraident le plus ».

Et il est loin d’être le seul à noter ce phénomène :  chez les chimpanzés, observe la primatologue Sabrina Krief, qui travaille en Ouganda, les jeunes orphelins sont souvent pris en charge par un mâle adulte. Le partage des ressources rares est la norme lors des chasses en coopération, « le butin est partagé mais pas uniquement entre chasseurs et sans attente d’une rétribution en échange».

L’entraide s’applique également au règne végétal : les arbres communiquent entre eux, explique l’ingénieur forestier Ernst Zürcher. Une «perception mutuelle» est opérée via les racines interconnectées, par émission chimique, électro-magnétique, acoustique voire par l’intermédiaire de champignons racinaires. Bel exemple de solidarité et d’entraide, ces derniers permettent aux arbres les plus forts de redistribuer des nutriments aux plus faibles. Ce phénomène d’intelligence collective se retrouve dans toute la faune sauvage, entre espèces – par exemple avec les manchots qui se regroupent pour résister au froid, les lionnes qui chassent ensemble…. Mais il existe aussi  inter-espèces rappelle Pablo Servigne. Il suffit de penser à la pollinisation ou aux fourmis. Celles-ci sont capables de défendre l’arbre dans lequel elles logent et grâce auquel elles se nourrissent.

 

Pour l’homme aussi, l’entraide et la solidarité sont des phénomènes naturels

Dès sa formation, remarque malicieusement Pablo Servigne : «l’entraide entre bactéries pour former des cellules, puis entre cellules pour former un corps, puis avec d’autres espèces vivantes pour se nourrir, et avec d’autres humains, pour grandir et pour transmettre la culture. Nous sommes l’entraide incarnée. »

 «Depuis que l’homme est homme, il y a des liens de solidarité» rappelle Valérie Delattre, archéo-anthropologue de l’INRAP. En témoignent les os de nos lointains ancêtres où sont inscrits les soins prodigués aux malades, aux plus faibles : trépanation, création d’appareillage, réduction de fracture. Une «chaîne de solidarités au service de la personne en situation de vulnérabilité» était déjà bien présente à l’époque.

Les notions d’entraide et de solidarité se retrouvent dans toutes les disciplines scientifiques explique Pablo Servigne, qui n’hésite pas à aller fouiller les bibliothèques universitaires. Avec son co-auteur Gauthier Chapelle, ils ont rassemblé une bibliographie comptant 300 livres et plus de 4 000 articles, toutes disciplines confondues : « Ce qui est fou, c’est que l’entraide est là depuis la nuit des temps, sous nos yeux. Mais elle est devenue invisible. L’école, la sécurité sociale, les coopératives, les syndicats, l’Etat, les entreprises sont des institutions extrêmement puissantes d’entraide. On ne les voit plus car on a chaussé les lunettes de la compétition ! Notre imaginaire est terriblement appauvri. »

 

L’entraide et la solidarité, une réponse à la vulnérabilité

La vulnérabilité est caractéristique de l’être humain, qui se développe, une fois né, plus lentement que tous les autres êtres vivants. Entraide et solidarité sont donc nécessaires à la survie des faibles…. comme des forts remarque la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury : « Il n’est pas seulement question de don et de contre-don : à partir du moment où les individus ne produisent pas de la solidarité, ils tombent malades, c’est une vérité clinicienne.» Ce qui explique qu’en dépit d’une rémunération bien en deçà des efforts fournis, nombre de professionnels dans le secteur médical, social, s’engagent par besoin d’aider les autres.  

En outre, l’entraide est reconnue comme l’une des voies de la résilience à travers la mémoire collective explique Francis Eustache, neuropsychologue et spécialiste d’imagerie cérébrale : «Ce lien est une réponse concrète : une personne à qui on est capable d’offrir un environnement sécurisant est déjà sur le chemin de la résilience.»

 

Entraide et solidarité, des lois réfutées par la nature ?

Dans l’imaginaire collectif, nous avons pourtant tendance à considérer qu’à l’état sauvage, la loi, c’est chacun pour soi !

Or soulignent les chercheurs, il s’agit d’un mythe institutionnalisé depuis près de deux siècles – notamment par l’essor du capitalisme. Dans l’Angleterre victorienne, Herbert Spencer interprète les théories de Darwin en parlant de la « loi du plus fort ». Or Darwin lui-même n’a jamais parlé de cela. Et cette idée de compétition n’a fait que se renforcer depuis un demi-siècle avec la montée du néo-libéralisme.

« Cette mythologie a fait émerger une société devenue toxique pour notre génération et pour notre planète » observe Pablo Servigne. L’esprit de compétition soumet les individus à un stress incessant. S’il peut être profitable ponctuellement, il est difficilement supportable sur le long terme, non seulement pour les individus – dont la santé s’en ressent- mais elle est également dangereuse pour les sociétés elles-mêmes qui se délitent sous la pression individualiste.

Sans compter que l’individualisme est un luxe, ajoutent les chercheurs. Seule la vie dans une société d’abondance permet d’envisager l’indépendance … et à terme la mort du lien social ! Aussi le problème majeur de l’humanité ne sera pas forcément la pénurie annoncée. « Les humains savent gérer cela depuis des centaines de milliers d’années. Le problème, c’est d’arriver dans les pénuries avec une culture de la compétition et de l’égoïsme » souligne Pablo Servigne.

 

Entraide et solidarité… versus compétition

L’entraide s’oppose-t-elle donc à la compétition ? La réalité est moins tranchée tempère le biologiste. Selon la sociobiologie qui cherche une origine biologique au comportement social, tout est question d’équilibre. «Au sein des groupes, ce sont les égoïstes qui s’en sortent le mieux, ils se répandent mais finissent par détruire la cohésion des groupes. En même temps, ce sont les groupes les plus coopératifs qui survivent le mieux. Un équilibre s’opère entre ces deux forces opposées, c’est très beau. Cela explique que, dans la nature, on retrouve tout un continuum, entre l’égoïsme et l’altruisme, avec un curseur qui se déplace en fonction des milieux. »

Dans les milieux les plus hostiles, l’entraide est spontanée chez les êtres vivants, y compris chez l’être humain rappelle Pablo Servigne. « Les chercheurs montrent qu’à l’épicentre du phénomène, on trouve beaucoup d’entraide et d’altruisme extrême, ainsi que de l’auto-organisation et du calme. Mais jamais de panique. »

Même dans nos civilisations hyper connectées, l’entraide apparaît comme une nécessité. « Il est vraiment urgent et nécessaire de s’y prendre dès maintenant, pour éviter un chaos social. C’est un réel défi, car nous le faisons dans un bain idéologique totalement contraire, pendant que les puissants maintiennent une mythologie compétitive qui sépare les gens. D’ailleurs, c’est là que ça devient intéressant, car les élites s’entraident aussi, pour garder leurs privilèges. Il faut donc fournir à l’ensemble de la population une trousse à outils conceptuelle pour que tout le monde arrive à coopérer. »

 

Un moteur de l’évolution

Des millénaires d’histoire humaine l’ont démontré : l’entraide est un moteur de l’évolution. « La coopération a été, au fil de l’évolution, beaucoup plus créatrice de niveaux croissants de complexité que la compétition. Il ne fait aucun doute que l’entraide est omniprésente dans la nature. Chez les humains, elle est l’une des manifestations les plus directes de l’altruisme. Elle mène au double accomplissement du bien d’autrui et du sien propre. » rappelle l’auteur Matthieu Ricard.

 

La fin de l’individualisme ?

Bien loin de l’entraide, de la compassion et de la bienveillance, ce sont les principes de la compétition généralisée qui pourtant prédominent aujourd’hui parmi les humains… Et ce, partout dans le monde. Doit-on y voir un changement dans le cours naturel des choses ?

Non, rassurent Pablo Servigne et Gauthier Chapelle. « Dans la nature, ceux qui ne s’entraident pas meurent les premiers, tout simplement. Ceux qui survivent ne sont pas forcément les plus forts, ce sont ceux qui s’entraident. » Et aujourd’hui, soulignent-ils, « nous redécouvrons un grand principe de l’évolution du vivant. Ce principe nous fait dire avec Gauthier Chapelle que nous arrivons dans l’âge de l’entraide. Non pas que tout le monde va s’entraider, mais il est certain que les groupes les plus coopératifs survivront aux tempêtes, comme cela a été le cas pendant des millions d’années. Les tempêtes qui arrivent annoncent tout simplement la fin de l’individualisme. »

Les tendances actuelles  pourraient bien donner raison aux scientifiques. Il suffit de voir le nombre d’initiatives fondées sur la collaboration, l’échange, l’entraide pour voir que la nature semble bel et bien reprendre ses droits. Ce que Denis Thomas, président du Réseau APA, analyse comme « le passage d’une société des biens à une société du lien. »

Face aux défis qui nous attendent, de la transformation des usages, le vieillissement de la population, les défis environnementaux et climatiques, un nouveau modèle doit émerger. « L’entraide est un marqueur différenciateur fort qui nous ancre dans l’économie sociale et solidaire et propose un modèle humaniste en opposition à un système basé sur la concentration du profit, la marginalisation des plus faibles, la consommation et la destruction progressive des ressources naturelles. »

 

L’âge de l’entraide sonne-t-elle la fin de la croissance économique ?

Absolument pas selon Denis Thomas : « Elle contribue à la démultiplier grâce à l’intelligence collective, à la complémentarité des expertises, à l’engagement et aux convictions, dans une finalité d’économie circulaire où les résultats sont réorientés non vers le profit, mais vers les objectifs sociaux et sociétaux. C’est notamment le cas des actions de lutte contre l’isolement des personnes fragiles qui est porté majoritairement par les bénévoles. L’entraide est reconnue comme un facteur du bien vivre favorisant l’épanouissement personnel, le bien vieillir avec ses effets bénéfiques pour la société. »

« Il se faut entraider, c’est la loi de nature » disait Jean de La Fontaine dans la fable de L’Âne et le Chien.

 

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Crédit photo : Samuel McGinity