L’habitat intergénérationnel ou comment rapprocher les générations
L’habitat intergénérationnel plutôt que l’EHPAD ? C’est le choix d’un petit groupe de seniors de Villeneuve d’Ascq. Au cours de leur aventure pour créer un projet d’habitat participatif, ils croisent un groupe de jeunes parents qui, eux aussi, conçoivent l’habitat autrement… Une rencontre heureuse puisqu’elle a donné naissance aux Toitmoinous, un habitat participatif intergénérationnel.
Rencontre avec l’un des membres fondateurs, Régis Verley.
A l’origine des ToitMoiNous
COOLOC : Comment sont nés les Toitmoinous ?
Régis Verley : L’histoire a commencé lorsqu’un groupe d’études composé d’universitaires et de citoyens ordinaires s’est implanté à Villeneuve d’Ascq. L’objectif était de travailler sur le vieillissement.
Villeneuve d’Ascq est une ville nouvelle datant des années 70-80. Elle a été conçue pour de jeunes parents avec des enfants en bas âge. Or ces habitants ont vieilli et se retrouvent dans des logements trop grands, de plus en plus inadaptés à leurs besoins. Souvent leurs enfants sont partis. Et eux se demandent ce qu’ils vont devenir en vieillissant. Il existe clairement un manque de logements adaptés à une population vieillissante qui se retrouve parfois isolée.
Villeneuve d’Ascq est agréable. Elle offre beaucoup de services. Les seniors n’avaient donc pas envie de partir et ils voulaient rester autonomes à leur domicile le plus longtemps possible. Ils voulaient retarder au maximum et voire éviter l’EHPAD. Car personne ne souhaite y aller, même si on sait que cela peut arriver.
L’habitat intergénérationnel : une solution pour tous
Le groupe d’étude a alors découvert l’habitat participatif. C’est un bon moyen de vieillir de façon active grâce à une solidarité de voisinage. Cela répond aussi à la préoccupation des seniors de rester chez eux le plus longtemps.
Le hasard a voulu que nous croisions un groupe de jeunes parents soucieux de partager l’éducation et une manière de vivre autrement la famille. Eux aussi souhaitaient se regrouper pour mutualiser l’éducation et certains aspects relatifs à la vie familiale.
Nous avons donc décidé de nous unir. De ce mariage – heureux dirais-je – est né notre habitat intergénérationnel, les ToitMoiNous !
Vivre en habitat partagé intergénérationnel, c’est être complémentaire, échanger des compétences. Les adultes savent apporter aux plus âgés un soutien précieux. C’est, par exemple, ce qui permet à Marie-Hélène, la doyenne de 80 ans dont la vue a baissé, d’abandonner sa voiture pour se faire conduire quand c’est nécessaire. Les seniors sont présents pour les enfants, pour des gardes imprévues ou des après-midis de jeu. C’est d’autant plus important que certains de ces enfants ne voient jamais leurs propres grands-parents qui vivent trop loin.
Un parcours du combattant
Le projet a cependant été compliqué à mener. Nous avons démarré en 2011. Nous avons emménagé … en 2018.
C’était difficile de trouver un terrain, de trouver un promoteur. Dans un cadre urbain comme Villeneuve d’Ascq, l’auto-construction est très compliquée. Il y a des règles techniques et juridiques qui s’appliquent. De plus, cela demande un apport financier important. Nous nous sommes heurtés à de multiples problèmes.
Mélanger dans une même résidence des propriétaires et des locataires sociaux a créé une masse de difficultés à gérer. En effet, un tiers des appartements sont des logements sociaux, car nous voulions aussi de la mixité sociale. Il a fallu trouver un bailleur social qui accepte de porter le projet. Là non plus, cela n’a pas été simple.
Un village participatif
COOLOC : Comment se passe la prise de décision au sein de ToitMoiNous ?
Régis Verley : La prise de décision est compliquée, c’est très chronophage. En même temps, c’est stimulant pour les personnes âgées qui se disent : « j’ai évité la maison de retraite mais maintenant, avec l’habitat intergénérationnel, je me tape les jeunes qui ne sont jamais contents » (rires)
Les habitats participatifs auxquels nous nous sommes référés regroupent le plus souvent 7-8 logements. Nous avons 22 logements. Ce ne sont pas les mêmes dynamiques. Notre groupe est important : 35 adultes et une quinzaine d’enfants. Or trouver un consensus à 35, c’est impossible. Il ne s’agit plus tout à fait d’une communauté. Je dirais qu’il s’agit d’un village participatif avec des habitants qui ont des aspirations différentes. Cela implique parfois des frottements.
Mais surtout, au sein des ToitMoiNous, de nombreuses amitiés se sont créées. Nous nous sommes faits des amis très proches. Nous avons vu apparaître de belles solidarités entre jeunes et vieux. Il y a des choses fortes qui se nouent entre nous… Il peut y avoir des inimitiés aussi, des gens qui ne s’entendent pas. C’est la vie même si nous avons du mal à l’accepter. Mais on essaie de régler cela.
Gérer les différents aspects d’un habitat participatif
Pour l’organisation, nous avons opté pour la scission. D’un côté, la copropriété classique a une forme classique. Un syndic bénévole gère ce qui doit se gérer dans une copropriété traditionnelle.
C’est différent pour les parties communes. Nous disposons d’un jardin de plus 1 000 m2, d’un atelier, d’un studio pour accueillir des visiteurs ou nos familles…, d’une salle commune. Ces espaces sont gérés par une association loi 1901. Elle fonctionne selon le processus classique avec un conseil d’administration. Elle organise une réunion mensuelle qui réunit ses membres, à savoir tous les habitants. C’est au cours de ces réunions que nous prenons les décisions importantes. Nous avons de nombreuses commissions dédiées pour la salle commune, l’espace vert, et pour l’atelier… Actuellement, c’est bien sûr plus compliqué de se réunir, car il y a des gens âgés, plus fragiles face à la maladie.
C’est un peu compliqué, un peu confus mais cela fonctionne. Bien sûr, nous tâtonnons encore un peu. Ce n’est pas la solution parfaite mais nous cherchons encore.
Comment intégrer de nouveaux habitants ?
COOLOC : Comment intégrer de nouveaux arrivants dans cet habitat partagé ?
Régis Verley : Dès le processus de construction du logement, nous avons intégré de futurs locataires sociaux. Nous nous sommes vus régulièrement pendant 8 ans. Cela facilite les choses. Ils ont participé à l’élaboration du projet à égalité avec les propriétaires. Et comme eux, ils ont signé la charte de vie commune.
C’est d’ailleurs l’une des nombreuses difficultés que nous avons rencontrées : il fallait faire valoir devant les commissions d’attribution que nous voulions un droit de regard sur les futurs locataires sociaux. Nous avons passé une convention avec le bailleur social : si un logement social se libère, nous devons pouvoir choisir le prochain locataire – qui bien sûr répond aux critères d’attribution. Notre règlement stipule que les locataires sociaux doivent signer la charte de vie commune et adhérer à l’association.
Gérer les nouvelles arrivées
Depuis 2018, nous avons eu deux départs, non de locataires mais de propriétaires. L’une expliquait que la gestion lui prenait trop de temps. Entre sa vie professionnelle et familiale, elle n’arrivait plus à s’en sortir avec toutes les réunions de l’association. Elle a préféré repartir vers une forme de logement plus classique. L’autre se sentait mal à l’aise. Il ne s’entendait pas bien avec certains habitants et a préféré partir.
Nous avons expliqué à leurs remplaçants que le règlement de copropriété exige l’adhésion à l’association. Or pour adhérer, il faut être agréé par les membres. Les deux nouveaux propriétaires ont été reçus. Ils ont présenté leur desiderata. L’association au vu de ces éléments, de leurs engagements personnels, les a acceptés et ils font maintenant partie des ToitsMoiNous.
Nous avons d’ailleurs dû nous battre pour faire admettre au notaire qu’adhérer à l’association était une condition sine qua non pour devenir propriétaire. Mais pour nous, c’est une sécurité. Si quelqu’un veut le logement mais refuse la charte de vie commune, nous pouvons le refuser.
Des critères … ou du feeling ?
COOLOC : Quels sont les critères pour faire partie des ToitMoiNous ?
Régis Verley : Nous n’avons pas de critères précis. Cela se passe au feeling. Les gens qui arrivent ont souvent eu des engagements associatifs ou des formes d’engagement collectif… C’est important, car notre organisation fonctionne sur la solidarité, le collectif !
Nous avons cependant un critère implicite. Nous cherchons à conserver l’équilibre entre jeunes et vieux. Aujourd’hui, nous sommes autant de vieux que de jeunes. Et c’est ce qui fait le cœur de notre habitat intergénérationnel.
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Crédit photo : Régis Verley / ToitMoiNous