Pourquoi l’habitat collaboratif peine-t-il à s’imposer en France ?

Logement
l'habitat collaboratif peine à s'imposer en France

L’habitat collaboratif, une solution à la crise du logement ? La plupart des grandes villes européennes font face au même casse-tête : des prix au m2 qui s’envolent, des classes moyennes et des métiers nécessaires (employés de commerces et de services, infirmières…) obligés d’habiter toujours plus loin de leur lieu de travail. L’habitat collaboratif, lui, présente de nombreux avantages : des logements adaptés aux besoins de ses habitants ; un coût en moyenne largement inférieur que les logements traditionnels. Et pour cette raison, il est également accessible aux personnes qui ne peuvent – a priori – pas accéder à la propriété. Sans compter que le vivre ensemble a le vent en poupe. Pourtant, l’habitat partagé ne prend pas encore son envol…. Du moins dans l’Hexagone !

 

L’habitat collaboratif : des chiffres explicites

En 2019, l’habitat collaboratif en France représente :

– plus de 600 projets (5 000 à 7 000 logements)

– 170 projets aboutis (1 400 logements)

– 280 en phase d’études ou de construction

– Une croissance de 13% ces dernières années

Bien peu au regard des quelques 110 000 logements nécessaires entre l’explosion du nombre de divorces, le remplacement de logements insalubres ou permettant le maintien à domicile des personnes âgées. Encore faudrait-il construire au bon endroit. Si le nombre de logements vacants anciens, voire neufs semble suffisant dans les petites voire moyennes villes, il est largement insuffisant dans les métropoles.

Ce n’est pourtant pas le manque d’expérience qui manque. Il existe des plateformes, des associations qui accompagnent les candidats au logement collaboratif dans leur démarche, depuis la recherche de projet par exemple, jusqu’à la construction du logement proprement dit. Du mouvement des Colibris qui donnent conseils et précisions à une plateforme comme ÔFildesVoisins qui met en relation les aspirants à l’habitat collaboratif, en passant par Habitat participatif France… Acteurs locaux ou nationaux ne manquent pas pour qui veut se lancer.

 

Les pays qui s’y sont mis…

Tout le monde. D’ailleurs, les exemples d’habitats collaboratifs ne manquent pas en Europe. En Suisse, l’habitat partagé représente 5% du parc immobilier ; en Allemagne, l2,2 millions de logements et 5 millions d’habitants.

Alors, pourquoi la France est-elle encore tellement en retard ? Ne parlons pas de la difficulté législative. Depuis la loi ALUR de 2014, l’habitat collaboratif en France bénéficie d’un cadre juridique propre. Et il existe d’excellentes synthèses qui présentent les différents montages financiers et statuts juridiques possibles.

De nombreux publics pourraient être intéressés. Les jeunes générations, par exemple, qui y voient la possibilité d’accéder à la propriété et à un plus grand espace. Les seniors également. Ils ne disposent pas forcément de grands moyens avec une petite retraite et ces modes d’habitat évitent l’écueil de la solitude. Quels sont les freins à l’adoption d’une solution innovante, accessible et finalement écologique du logement ?

 

Habitat participatif : les freins en France

« C’est une question culturelle » estime Siham Laux, la fondatrice de OFildesVoisins, la plus grande plateforme d’habitat collaboratif en France. Depuis la Révolution, la propriété en France est considérée comme un droit inaliénable. Par conséquent, « investir dans la pierre est très important. C’est un capital que l’on garde pour sa retraite. On retrouve les mêmes tendances en Italie, en Espagne, au Portugal. Beaucoup moins, en revanche, en Allemagne ou au Canada.»

Or, l’habitat collaboratif suppose de renoncer à une partie de son droit de propriété au profit d’un partage de l’espace. « Pendant longtemps, rappelle Siham, les logements collaboratifs ont été portés par des associations qui militaient pour l’auto-promotion et l’auto-construction, notamment pour des raisons financières. Se passer d’un promoteur permettrait de construire moins cher. Mais cela demande plus de temps et de compétences. L’habitat collaboratif a ainsi pris un aspect très social, qui nuit à la mixité et à l’émergence de projets dans toutes les couches de la société.»

Faire du logement participatif une solution plus économique de logement est réducteur. Au Canada par exemple, où il n’y a pas de logement social, il existe des coopératives d’habitants ouvertes à tous. Il n’y a pas de limite minimum ou maximum de revenus de plafond, commission d’attribution… Il suffit de montrer que l’on peut payer son loyer. Cela favorise la mixité sociale.

 

Un large public potentiel pour le logement collaboratif

Selon Siham, on assiste cependant depuis quelques années à un changement d’attitude, notamment au sein de la jeune génération, séduite par les avantages économiques, la nécessité de se loger mais aussi ouverte à l’expérience du vivre ensemble. Les projets portés par les seniors se multiplient. Vivre dans un logement choisi sans disposer de moyens exceptionnels, garder un espace privé en évitant la solitude… L’habitat collaboratif présente de multiples atouts.

 

Développer l’habitat participatif, quelles solutions ?

Fred Colantonio, consultant spécialiste de l’accompagnement des entreprises dans l’innovation et la transformation, estime que l’habitat collaboratif fait bouger les lignes. « Comment des gens vont consentir à se reloger dans un espace plus petit, partager des lieux de vie et de réduire leur propriété ? L’habitat participatif, c’est génial comme idée, de même que la colocation, la communauté… Mais il y a peu de gens qui a priori vont oser se lancer vraiment. » 

C’est la raison pour laquelle on peut envisager l’habitat participatif comme une forme d’innovation. « L’important dans l’innovation, c’est moins l’idée que la manière dont on la teste et dont on va aider la société à s’en emparer. » Fred Colantonio le remarque : de nombreuses innovations, du four à micro-ondes au smartphone, ne représentaient pas une nécessité vitale. Et pourtant, aujourd’hui il est difficile de s’en passer : « on nous a appâté sur une appétence comportementale. Je pourrais faire sans mais j’y trouve un intérêt. »

Il en va de même pour l’habitat participatif. Face aux innovations, il y a dans la société, un petit pourcentage de personnes qui se lancent dans le projet dès le départ et semblent transgresser les habitudes. A l’autre bout, il y aura toujours environs 15% des gens que vous ne réussirez jamais à convaincre et qui resteront fermement ancrés sur leurs positions. C’est la population située entre ces deux extrêmes qu’il faut convaincre, explique Fred Colantonio. Pour cela, l’habitat collaboratif doit combattre les suppositions, pour éviter de crisper les relations. Il faut être très factuel, trouver les intersections qui permettent aux gens de s’emparer de l’idée. Par exemple en essaimant des idées du type vous avez été scout ? Vous savez, c’était déjà de l’habitat partagé. Il faut créer de l’inclusion pour que les gens s’emparent du projet et se sentent concernés. 

 

Des leviers pour favoriser l’habitat collaboratif

D’autres leviers favorisant le développement de l’habitat collaboratif en France existent.

Selon Siham, il est évident que si les pouvoirs publics s’emparaient davantage du sujet, la tendance suivrait : « Plus la commande publique est importante, plus les acteurs de l’immobilier vont chercher des réponses innovantes. Et l’habitat collaboratif est l’une de ces réponses. »

En outre, le logement participatif reflète une tendance de fond : « Au début d’ÔFildesVoisins, se rappelle Siham, de véritables experts en habitat collaboratif s’inscrivaient sur la plateforme. Ils en savaient parfois plus que nous. Aujourd’hui, ce sont des gens qui ne connaissent pas particulièrement le concept et cherchent à se loger, qui rejoignent la communauté. Notre objectif est de répondre à toutes les demandes, et pas uniquement à ceux qui veulent se lancer dans l’auto-promotion ou l’auto-construction. Le marché n’est pas évident, cela demande du temps et des compétences. Sur notre plate-forme, les gens ont le choix : rejoindre un projet en cours, un projet porté par des promoteurs, ou participer à un projet en auto-construction…. Notre objectif, c’est de rendre l’habitat partagé le plus accessible possible au plus grand nombre. »

 

Atteindre un public sans cesse plus vaste ?

Rien d’étonnant à cela estiment Siham et Fred Colantonio. : l’habitat collaboratif est représentatif d’une tendance de fond.

« Nous sommes dans un contexte où l’innovation sociétale va fleurir comme jamais, explique Fred Colantonio, au croisement des chemins. On sait que la planète est en danger, que nos modes de vie doivent changer. Nous savons que nous devons reconfigurer notre rapport aux autres, à la planète. Et l’habitat participatif est une manière pionnière d’y arriver par petites touches : occuper moins d’espace, et mieux, pour préserver l’environnement. C’est la preuve que l’on peut conduire le changement de façon préventive, constructive si on aide les gens à changer progressivement leur mode de vie. »

« L’économie du partage est de plus en plus importante, renchérit Siham. Sur les réseaux sociaux, les sites de partage entre voisins ou à plus grande échelle se multiplient. Du partage d’outils à la vente de produits agricoles de proximité, les systèmes d’échanges locaux s’installent durablement dans le paysage : AMAP, mais aussi La Ruche qui dit oui – moins contraignante en termes d’engagement et de temps- connaissent un succès croissant. »

De plus en plus de personnes vivent en co-location ou adoptent pour un temps le co-living. «Et cette tendance ne se réduit pas avec le vieillissement, l’allongement de l’espérance de vie, les familles recomposées, remarque Siham. Les gens ont besoin de vivre ensemble»

 

Siham Laux est fondatrice de ÔFildesVoisins

Fred Colantonio est l’auteur de Innover à tous les coups

 

Pour tout savoir sur les tendances de la co-location, consultez la rubrique “Logement” du blog de COOLOC. Et inscrivez-vous à la newsletter pour ne rater aucun article !

Crédit photo : Samuel McGinity