Colocation multiculturelle : Caracol réinvente la solidarité par le logement
La colocation multiculturelle et solidaire ou comment une nécessité de départ apporte tant aux colocataires qu’ils choisissent d’en faire un mode de vie.
La jeune association Caracol a ainsi décidé de résoudre plusieurs problèmes :
- résoudre la crise du logement en montant des colocations entre réfugiés et Français en zones tendues ;
- mettre en valeur des logements vides loués en baux précaires ;
- donner un peu de répit aux colocataires pour mettre sur pied un projet de vie.
La dimension multiculturelle de la colocation est l’un des fondamentaux du projet explique Simon Guibert, co-fondateur de Caracol, qui vit lui-même dans la première colocation ouverte par Caracol au Perreux-sur-Marne.
Colocation multiculturelle avec des réfugiés : un projet qui peut faire peur
Mettre en valeur des surfaces vacantes
« Pendant mes études à Genève, j’ai habité dans une colocation destinée aux étudiants, ouverte par une coopérative d’habitat participatif, La Ciguë. Une vraie colocation multiculturelle : nous étions 12 et il y avait quasi autant de nationalités que de colocataires. Chacun payait un loyer de 300 francs – contre 1 200 francs pour un loyer en moyenne.
A mon retour en France, je me suis rendu compte qu’il n’existait quasiment rien concernant l’occupation temporaire de logements vides. Les gens l’associent souvent à du squat. Pourtant louer un logement vacant à Caracol permet au propriétaire de valoriser le lieu, tant que dure la vacance. Et un logement occupé fait toujours meilleur effet que s’il reste abandonné pendant des mois ou des années. Le propriétaire obtient plus facilement les autorisations d’urbanisme si son bien est occupé. Il n’a pas non plus de frais de gardiennage.
En général, les propriétaires que nous rencontrons sont assez réceptifs. De plus, nous leur donnons toutes les garanties que les colocataires partiront à la fin de l’occupation temporaire. Nous nous engageons aussi à ce que le logement soit restitué dans le meilleur état.
Vaincre les réticences des propriétaires
« Les propriétaires ont toujours des réserves et des questions, bien sûr. Nous essayons d’y répondre le mieux possible. Nous avons souvent des questions sur le regroupement familial : nous expliquons qu’il est impossible aux colocataires de faire venir leur famille. En ce qui concerne leur projet de vie, c’est l’accompagnateur social qui s’en occupe en aidant les réfugiés à accéder à un logement pérenne par la suite.
La caution d’Habitat et Humanisme, notre partenaire, qui accompagne les réfugiés vers un logement pérenne est aussi un argument de poids. D’ailleurs, nous ne travaillons jamais seuls. Nous sommes toujours au moins 3 acteurs à monter le projet. A Paris, nous travaillons aux côtés de Plateau Urbain, Habitat et Humanisme, Soliha, Yes We Camp. Travailler ensemble permet de donner confiance aux propriétaires.
Le meilleur argument reste l’exemple. Plus nous monterons de colocations, plus les propriétaires nous feront confiance. Et les premières colocations se passent vraiment bien. Je sais que le concept de colocation multiculturelle peut faire peur. Il existe de nombreux préjugés sur les réfugiés. C’est la raison pour laquelle il est fondamental que la colocation multiculturelle se rapproche le plus possible d’une colocation classique. »
Se donner les moyens de rénover : low tech et récupération
« La grande question, c’est la réalisation des travaux pour la mise aux normes et l’aménagement des bâtiments. Nous prenons les travaux à notre charge et parfois nous les partageons avec le propriétaire. Par exemple, à Marseille, nous finalisons l’accord pour occuper un bâtiment de quatre étages. Le propriétaire prend plus de la moitié de travaux à sa charge pour la consolidation et un peu pour la structuration. De notre côté, nous nous occupons des travaux en lien avec le projet d’habitation, en mettant en place des aménagements réversibles.
Nous utilisons des cloisons qui sont entièrement démontables et remontables, réalisées à partir de palettes. Nous utilisons des matériaux de seconde main, issus de filières de récupération. »
Ouverture des premières colocations multiculturelles
La première colocation a ouvert en mars 2019, au Perreux-sur-Marne. La maison est louée avec un bail d’occupation précaire. Située sur le tracé du Grand Paris, la maison est condamnée à la destruction à terme.
A partir de septembre, deux nouvelles colocations vont s’ouvrir : l’une à Toulouse et l’autre à la Roche-sur-Yon.
A terme, si nous pouvons développer des colocations autrement que par l’occupation temporaire de lieux vides, nous le ferons. Notre but est de déployer un maximum de colocations interculturelles entre personnes réfugiées et françaises en utilisant les bâtiments vides. Mais c’est la seule solution que nous ayons trouvé jusqu’à présent. »
Créer un esprit multiculturel en colocation
« Il nous est vite apparu évident qu’on avait tout à gagner en faisant cohabiter des Français et des réfugiés.
Les réfugiés ont beau avoir un statut et une carte de séjour valable 10 ans, ils connaissent souvent des problèmes de logement. Avant d’obtenir leur statut, ils ont passé des mois à vivre soit dans des centres d’hébergement d’urgence, soit accueillis de façon précaire par des connaissances. Parfois, ils sont tout simplement à la rue et coupés du reste de la société.
Ils n’ont pas forcément le réseau nécessaire pour trouver un appartement ou un travail. A Paris et dans certaines zones tendues, on compte jusqu’à 26 demandes par appartement loué. C’est impossible pour ceux qui n’ont ni garants ni caution. Et les personnes d’origine française elles-mêmes ont des difficultés à se loger. »
A l’origine de la première colocation multiculturelle, un Français et un réfugié
« A l’origine de cette première colocation, je voulais revivre l’expérience de Genève. Et j’avais aussi besoin d’un logement. J’ai monté la colocation en binôme avec Yasin. Yasin est somalien. Il a le statut de réfugié. Mais c’est surtout un entrepreneur génial qui a monté une association, le « Réseau des exilés en France” créée par les exilés et pour les exilés en France. L’objectif est de transmettre des informations aux nouveaux arrivants, de mettre en valeur leurs compétences par le biais d’ateliers, de traductions, de cours de langue. Aujourd’hui, le « réseau des exilés » compte 120 bénévoles et des milliers de bénéficiaires.
Lorsque j’ai rencontré Yasin, dans le cadre d’un programme d’accompagnement pour entreprise sociale, nous nous sommes tout de suite très bien entendus. Et lui aussi avait besoin d’un logement.
Ce qui de prime abord est étonnant. Il dispose d’un réseau incroyable, il est développeur web, il parle 7 langues. Il pourrait avoir tous les garants qu’il veut. En dépit de son profil, il enchainait les hébergements très précaires. Lorsque je l’ai connu, il vivait en centre d’hébergement d’urgence où il n’avait pas le droit d’être. Il logeait à droite et à gauche sinon chez des amis. Sans la colocation, il risquait de se retrouver à la rue.
Yasin et moi avons choisi ensemble les autres résidents. Nous avons réalisé une partie de l’aménagement et de l’ameublement ensemble. Nous avons commencé à habiter la maison qui n’était pas encore totalement chauffée. »
Puis trois réfugiés et deux Français…
« Nous avons rencontré de nombreux candidats et nous avons retenu :
- Amir, un étudiant soudanais en master 2 en agronomie à la Sorbonne, qui a le statut de réfugié.
- Roustam, un réfugié originaire d’Afghanistan qui travaille dans le BTP. Lui a comme projet de se reconvertir et de devenir chef cuisinier.
- Côté français, c’est Virginie, comédienne, directrice de troupe et professeur de théâtre qui nous a rejoint. Elle a déjà eu de nombreuses expériences de cohabitation, très riches, ce qui nous a convaincus de la choisir avec Yasin. Par ailleurs, elle nous a beaucoup aidés dans l’aménagement du logement grâce à ses compétences en menuiserie. Elle a créé une partie des meubles, ainsi qu’une cloison posée au rez-de-chaussée pour faire une cinquième chambre. »
Un cadre extérieur et des règles qui se construisent au fur et à mesure
Caracol a mis en place un processus pour mettre en place les colocations.
Une première étape pour rencontrer ses futurs colocataires multiculturels
La première rencontre entre les futurs colocataires a lieu avant l’entrée dans les lieux. Cela permet d’aplanir les incompréhensions, les quiproquos liés aux différences culturelles et de commencer à se connaitre. Un facilitateur anime la réunion. Il doit veiller à ce que tout le monde, quel que soit son niveau de langue en français et ses habitudes en matière de logement, donne son avis et participe à la construction d’un projet commun.
A partir de ce premier point, les colocataires élaborent un pacte de colocation autour des questions basiques : de quoi a-t-on envie dans cette maison ? Qu’est-ce qu’on ne veut pas voir ? Ce dernier s’articule avec le règlement intérieur imposé par l’association qui impose les grandes lignes de conduite, par exemple, l’exclusion du colocataire en cas de violences… Mais les colocataires gardent une importante marge de manœuvre pour créer leurs propres règles.
On laisse ensuite un peu de temps aux gens pour se connaitre, prendre un peu de recul, réfléchir, se désengager s’ils le souhaitent. Lors de l’entrée dans les lieux, les colocataires se connaissent déjà un peu. Au bout de quelques temps, on organise un deuxième atelier, sur des thématiques variées.
Des colocations multiculturelles organisées selon les candidats
Concernant la formation des colocations, il n’y a pas de processus bien définis. Les colocataires réfugiés potentiels nous sont adressés par chaque territoire, en fonction des besoins. Pour trouver des colocataires français, nous lançons un appel sur les réseaux sociaux.
Dans tous les cas, côté réfugiés comme côté français, nous rencontrons des candidats. Notre objectif est de constituer un collectif équilibré, en fonction des passions, du feeling, mais aussi du niveau de maitrise du français. Sur une colocation de quatre personnes, on ne va pas mettre deux réfugiés qui ont un niveau moyen en français. Cela risque d’être compliqué à gérer au quotidien. Nous choisissons au moins un réfugié qui a un bon niveau de français, quitte à ce que l’autre ait un niveau beaucoup plus faible. C’est plus facile pour tout le monde. Nous essayons surtout de faire en sorte que chacun ait envie d’apporter quelque chose à la colocation.
Donner vie aux colocations multiculturelles
On apprend à résoudre les problèmes ensemble. Au Perreux-sur-Marne, nous avons mis en place un conseil de maison. Il y a quelques jours, nous avons discuté du pot commun que nous avons mis en place. Il reste vide car personne n’a d’argent à y mettre. Roustam a alors proposé d’organiser une soirée avec un super repas comme au restaurant, puisqu’il y a 2 excellents cuisiniers dans la maison. Il suffit de demander aux gens s’ils sont prêts à mettre 9-10€ pour participer. Et cela nous permet d’ouvrir la maison aux amis, aux voisins et d’assurer le pot commun.
La maison fait 150 m2. Tout le rez-de-chaussée est un grand espace commun. Cela donne des idées pour monter des projets. Les lieux des colocations peuvent être atypiques, ou ultra classiques, les colocataires sont libres d’imaginer beaucoup de choses pour les rendre vivants.
De plus, dans chaque colocation, il y a toujours une personne référent qui fait le lien entre Caracol et la colocation, pour communiquer les informations. Son loyer est un peu moins élevé mais elle est plus impliquée dans le projet. En général, elle est choisie aussi pour l’énergie qu’elle a envie de mettre dans ce projet.
Caracol n’a cependant pas pour vocation à forcer les colocataires à organiser des événements ou des soirées. La colocation peut très bien être une simple colocation multiculturelle entre personnes réfugiées et personnes françaises. C’est déjà fabuleux. Mais les initiatives sont bienvenues pour rencontrer les voisins, et participer à l’insertion des réfugiés dans la société française.
Nouer des liens avec le voisinage
Nous avons organisé une marche autour des relations interculturelles, entre les colocataires du Perreux et les voisins. Ça a très bien fonctionné. Nous avons rencontré les gens de notre rue dans un contexte rassurant et sympathique. Rencontrer les gens du voisinage nous a ouvert de nombreuses possibilités. Au départ, le Perreux sur Marne ne me disait rien. Et j’ai découvert une ville géniale où il y a plein de choses à faire.
Une colocation multiculturelle temporaire …. qui laisse le temps de se construire un avenir
L’un des avantages de la colocation multiculturelle version Caracol, c’est que, même s’il s’agit d’occupation temporaire, cela reste un temps long. Les baux durent au minimum 1 an et plus généralement entre 2 et 3 ans. Pendant ce temps, les colocataires savent qu’ils n’auront pas besoin de chercher un autre logement pour le mois ou la semaine suivante. Une stabilité qui permet à chacun, réfugié, comme Français, de se projeter dans un projet de vie, de construire un avenir professionnel… et donc de mettre en place, à travers l’aide, la solidarité et l’échange, tous les éléments nécessaires pour trouver, à terme, un logement pérenne.
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Crédit photo : Caracol