Vivre à la campagne, oui … mais comment ?

Vie quotidienne
Vivre a la campagne

Vivre à la campagne est un idéal pour 81% des Français, indique un sondage IFOP. Les années 2000 ont vu nombre de citadins abandonner la ville pour une meilleure qualité de vie à la campagne. Lors du confinement, les agences immobilières ont enregistré une hausse significative des demandes pour des maisons à la campagne.

Une vague de fond serait-elle en train de naître ? Peut-on et doit-on abandonner la ville pour rejoindre la vie rurale ? Et quelles en seraient les conséquences ?

 

Des villes de plus en plus décriées

Les villes, autrefois, étaient synonymes de liberté, permettant d’échapper au poids du féodalisme. Avec la révolution industrielle, elles assuraient un travail et donc un salaire. Mais « monter à la ville » reflétait également un espoir de promotion sociale.

Or, force est de constater avec Olivier Babeau, président et fondateur de l’Institut Sapiens,  que la machine s’est emballée. Les grandes villes concentrent aujourd’hui un maximum de population sur un territoire réduit. Cette configuration entraîne des difficultés croissantes de logement, de transport, de pollution et de promiscuité. Et malgré cela, elles continuent d’attirer de nouveaux habitants, dépassant la taille critique. La Chine projette ainsi une mégalopole autour de Pékin qui comprendra Tianjin et une partie du Hebei. Baptisée Jing-Jin-Ji, elle devrait rassembler à elle seule plus de 100 millions d’habitants.

Les villes françaises et européennes sont loin de ces conditions extrêmes. Cependant la question de la qualité de vie se pose. Pression sur les transports, coût de la vie, taille des logements ont un impact, sans oublier les prix de l’immobilier. Acheter à Paris et dans nombre de grandes villes, est aujourd’hui inenvisageable pour la majeure partie de la population. Avec la crise sanitaire et la promiscuité forcée, les villes sont également devenues symbole de risques sanitaires accrus. Comment respecter la distanciation sociale dans les transports en commun aux heures de pointes ?

 

Mais qui continuent d’attirer

Et pourtant, les grandes villes continuent d’attirer. Elles restent les meilleures pourvoyeuses d’emplois. La grande majorité des entreprises s’y implantent. Les citadins, par leurs besoins et leur consommation contribuent, à la création d’emplois. Les grandes villes attirent «les intelligences et les énergies dépossédant les territoires délaissés du peu de ressources qu’ils avaient. En France, les treize plus grandes métropoles françaises concentrent à elles seules près de la moitié des offres d’emploi. Une concentration qui n’a cessé de s’accentuer : en 2018, l’Île-de-France représentait 45% des créations d’emplois, contre 15% en 1998» remarque Olivier Babeau.

C’est également dans les villes que se concentrent les services publics. Un avantage pour 60% des citadins interrogés par l’IFOP qui redoutent l’absence de ces derniers en milieu rural. Pour 53% des sondés, l’offre de transports insuffisante à la campagne freine leur exode vers le monde rural.

Le phénomène est cependant en marche, estime Olivier Babeau : « Hier on payait très cher le mètre carré pour acheter le privilège d’être serrés entre semblables. Demain, il se pourrait bien que l’on achète plutôt le privilège d’être éloigné des autres. » Mais est-ce vraiment souhaitable ?

 

Vivre à la campagne, quelles conséquences ?

La ville, source de tous les maux ? Elle symbolise les inégalités sociales et structurelles. Les gouvernements successifs ont tendance à concentrer leurs efforts sur les villes, oubliant les populations rurales.

Lors du confinement, cependant, les Franciliens aisés ont massivement migré vers leur résidence secondaire. D’autres, en quête d’espace et d’air frais, n’ont pas hésité à louer des maisons de campagne.

Des experts et des observateurs y voient les prémices d’un mouvement de revanche des campagnes sur les villes.

Mais ne serait-il pas déjà amorcé ? « L’observation des dynamiques démographiques sur un temps long montre que les espaces ruraux, y compris loin des villes, se repeuplent en effet depuis les années 2000, ce qui participe à la revitalisation des campagnes, sans nécessairement affaiblir pour autant les villes » remarque Magali Talandier, professeure des universités en études urbaines à l’Université de Grenoble Alpes et spécialiste de l’économie des villes et des territoires. Cette dernière a analysé les conséquences d’un peuplement homogène entre villes et campagnes de la France. Une situation qui a déjà existé rappelle-t-elle.

Que se passerait-il ? Selon Magali Talandier, une petite commune comme Bagnères-de-Bigorre dans les Hautes-Pyrénées passerait ainsi de 7 200 habitants à 16 100. 130 000 m2 de logements supplémentaires seraient nécessaires à Murat. La population de ce village du Cantal passerait de 1 880 habitants à près de 5 900. 1 900 logements de 70 m2 ou 40 immeubles de 8 étages seraient nécessaires pour assurer la transition néo-rurale.

Certaines régions montagneuses devraient voir s’accroître leur population de façon significative, comme les Pyrénées. Or, une densification de la population rurale implique l’artificialisation majeure d’espaces fragiles et protégés. Le développement de réseaux numériques, routiers, énergétiques serait nécessaire. Il permettrait d’intégrer ces espaces pour garantir l’accès de leurs habitants à l’emploi, à la santé, à l’éducation. Il faudrait également compter sur une augmentation des déplacements motorisés. Enfin, le mouvement pourrait se concentrer sur certaines campagnes recherchées qui comptent déjà des résidences secondaires. Se créerait ainsi une nouvelle fracture sociale … entre espaces ruraux cette fois-ci.

 

La réalité de la vie de campagne

Les néo-ruraux doivent, de leur côté, anticiper ce que signifie vivre à la campagne. Certes, la distanciation sociale est plus facilement respectée. Mais c’est aussi un autre rythme de vie qui se met en place. Les déplacements se font principalement en voiture. Si vous avez des enfants, il vous faudra prendre en compte les conduites multiples et variées. Oubliez les sorties culturelles sur un coup de tête ou même le réfrigérateur vide à 19.30. Après une certaine heure, il n’y a plus de vie nocturne à la campagne. La sociabilité n’est pas absente. C’est l’expérience de Thomas et Joséphine lorsqu’ils se sont installés à la campagne après une vie passée au cœur de Paris. Ils ont rapidement fait connaissance de leurs voisins en allant se présenter directement et en participant aux associations locales. Une initiative bienvenue tant les néo-ruraux peuvent provoquer la méfiance des locaux.

 

Des querelles de voisinage

Parfois à juste titre. Le coq Maurice à Saint Pierre d’Oléron avait défrayé la chronique en 2019. Ses chants matinaux gênaient les voisins au point que ceux-ci avaient porté plainte pour nuisances sonores. Ils furent déboutés et Maurice est devenu depuis un symbole de la ruralité. Le coq Maurice est cependant loin d’être un cas isolé. Les plaintes sont nombreuses. « Côté rural, on entend défendre ces sons qui font partie du patrimoine historique (…) Côté « néorural », d’anciens urbains venus échapper au brouhaha citadin défendent coûte que coûte le droit au silence chez soi » remarque le journaliste Thibaut Déléaz.

Mais ces querelles de voisinage ne sont pas suffisantes pour stopper ce besoin de vert. D’autant plus que les entreprises ont testé avec succès le travail à distance. Le digital s’impose dans un nombre croissant de métiers. Les citadins sont de plus en plus sensibles aux enjeux environnementaux. Et les territoires ruraux pourraient se révéler des viviers méconnus d’emplois.

 

Créer des opportunités à la campagne ?

Le manque d’emplois à la campagne reste dissuasif pour 46% des sondés relève l’IFOP. Rien d’étonnant à cela : les entreprises ont tendance à installer l’activité là où est la demande, donc vers les centres urbains.

Pourtant, remarquent Anne Albert-Cromarias, enseignant-chercheur au Groupe ESC Clermont et Alexandre Asselineau, enseignant-chercheur en stratégie et management stratégique, à la Burgundy School of Business, les entreprises n’ont plus besoin d’être nécessairement implantées physiquement à proximité de leurs clients. La transformation digitale, le travail nomade en témoignent. « Si vos produits sont bons, les clients viendront à vous ou passeront commande à distance » rassurent-ils.  « Nous pensons qu’il est non seulement possible, mais même souhaitable et très pertinent économiquement de s’installer durablement sur des territoires « oubliés », là où les autres ne sont pas. »  Cette stratégie peut aussi correspondre à des besoins locaux, mais qui restent non servis. Elle peut aussi faire émerger des besoins encore non perçus dans des zones délaissées. L’implantation de commerces, épiceries, bar ou relais de poste redonne vie à de nombreux villages.

Les maires des petites communes l’ont bien compris, qui cherchent à attirer l’activité économique. Ils accompagnent et facilitent l’implantation d’entrepreneurs sur leur territoire, mettant à disposition locaux inoccupés et services, parfois à des tarifs très attractifs. C’est ainsi qu’Estelle Meunier a pu ouvrir, en 2018, son atelier d’art végétal dans le village de Gevrey-Chambertin. Soutenue par la municipalité et les habitants, elle a pu s’installer dans l’ancienne cure du village, en face de l’église. Représentative d’un art de vivre et d’un savoir-faire apprécié, sa renommée dépasse la commune.  « J’ai plus de Dijonnais aujourd’hui qui viennent que lorsque j’étais installée au centre de Dijon » raconte cette entrepreneuse qui ne regrette pas son choix de vivre à la campagne. Sans compter qu’étant présente sur les réseaux sociaux, elle envoie ses créations dans la France entière.

 

En cohérence avec le territoire

Selon Anne Albert-Cromarias et Alexandre Asselineau, ce succès est représentatif des nouvelles attentes des consommateurs qui apprécient un service personnalisé. La condition de réussite, pour une entreprise s’implantant en milieu rural, est d’être en cohérence avec le territoire, et de s’accorder avec les écosystèmes et cultures locales. Vivre à la campagne serait donc une question d’adaptation … à tous points de vue.

C’est ce qui fait le succès des épiceries de villages. Qu’il s’agisse d’épiceries solidaires portées par les habitants, ou de reprises de commerce, les commerces renaissent dans les villages et redonnent vie et sociabilité.

Comptoir de Campagne en a fait sa spécialité : « Aujourd’hui, un village sur deux en France n’a plus de commerce. C’est ce qui m’a amenée à lancer Comptoir de Campagne, une entreprise de l’économie sociale et solidaire qui a pour ambition de ramener des services de proximité au cœur des villages tout en valorisant l’artisanat local et en recréant du lien social. » explique Virginie Hills, ancienne cadre de l’agro-alimentaire. Dix boutiques sont nées grâce à la start up, depuis son lancement en 2016. Toutes s’approvisionnent auprès de producteurs locaux, ce qui permet aux boutiques de proposer des prix attractifs aux clients.

L’enjeu dépasse la simple question économique. Comme l’explique le sociologue Vincent Chabaud, qui étudie l’évolution du commerce face au e-commerce, « la vente sans contact va continuer à s’imposer. Les consommateurs vont s’approprier les circuits de vente qui l’accompagnent (drive alimentaire, commande en ligne…). Mais le commerce de demain se nourrit également de contact, ce lien qui témoigne du sens investi dans l’achat. Le commerce personnifié est un repère dans le quotidien, c’est le lieu du lien y compris pour les jeunes générations. »

 

Repenser les modes de vie

Les citadins, gardent un rapport affectif avec le monde rural. Il y a trois ou quatre générations, rappelle la designer culinaire Marie Chioca, tout le monde ou presque était paysan… « Il doit bien en rester quelque chose ». La solution réside-t-elle pour autant dans un exode inversé des villes vers les campagnes ? Les risques environnementaux rendent l’idée périlleuse. Pour autant, il n’est pas question de renoncer à la nature.

Repenser la qualité des espaces en ville est un premier pas, estime Magali Talandier, à travers la « déminéralisation des espaces pour redonner une place à la nature, favoriser la biodiversité, réduire les îlots de chaleur. » Vivre à la campagne tout en restant en ville, une utopie réaliste ?

Par ailleurs, il est toujours possible de réinventer son mode de vie, sans pour autant empiéter sur la nature environnante. Réhabiliter l’existant permet de redonner vie aux campagnes. C’est ainsi qu’en Belgique, six familles ont transformé une ferme abandonnée en habitat partagé. Un moyen de réduire l’impact de l’habitat, mais aussi de développer la solidarité et les initiatives entre habitants.

Enfin, il n’est pas besoin de faire un choix aussi drastique que renoncer à la ville pour vivre à la campagne. Sur COOLOC, des propriétaires proposent leur maison en colocation pour les week end, les vacances. Leurs co-locataires arrivent chaque semaine dans une maison chaude et entretenue, mais le fait de partager la demeure d’un habitant leur a permis de s’insérer plus facilement dans la vie locale.

Vivre à la campagne aujourd’hui, une tradition en pleine réinvention ?

 

Pour tout savoir sur la vie en co-location, consultez la rubrique “Vie quotidienne” du blog de COOLOC, et inscrivez-vous sans attendre à notre newsletter !

Crédit photo : Samuel McGinity