Quelles limites au vivre ensemble ?

Vie quotidienne
Quelles sont les liites au vivre ensemble ? comment les surmonter ?

Présent partout, le concept du vivre ensemble peut sembler séduisant. Mais qu’en est-il dans la réalité ? Y-a-t-il des limites au vivre ensemble ? Et peut-on les surmonter ?

L’être humain a beau être un animal grégaire par définition, cohabiter avec ses semblables se révèle parfois ardu. A moins d’en être conscient, et de savoir avec qui et comment vivre ensemble.

 

Les limites au vivre ensemble, une question pratique

Tout colocataire digne de ce nom le sait. Pour vivre ensemble, il existe des règles d’or. Elles peuvent faire l’objet d’un pacte de colocation. Il définit l’organisation et le partage des tâches et des charges, la gestion du quotidien de la co-location (courses, ménage…). Il s’agit d’un élément essentiel de la cohabitation. Comme le rappelle la sociologue Monique Eleb, «labsence de règles ou la violation de règles existantes provoque immédiatement des conflits » notamment dans un logement.

Vivre ensemble ne signifie pas non plus renoncer à l’intimité. Cette dernière « est fondamentale, rappelle Monique Eleb. On vit ensemble sans être dans un rapport amoureux. Les pièces privées doivent être protégées. L’intimité concerne non seulement le regard mais aussi le bruit. Il faut donc se poser la question dans une co-location : l’espace privé garantit-il ou pas l’intimité ? »

Ces limites sont aisément surmontables à condition de les prendre en compte avant même d’habiter ensemble.

 

Être capable de vivre avec les autres

Vivre ensemble, c’est aussi une question de personnalité. Jusqu’où est-on capable de vivre avec les autres ? Certains, même en ayant atteint l’âge adulte et jouissant d’une position sociale n’en sont tout simplement pas capables. Par exemple ceux que le psychologue Didier Pleux appelle des « adultes tyrans ».  Il désigne ainsi des personnalités centrées sur elles-mêmes, dénuées d’empathie. Fondamentalement, elles estiment que les règles de la vie en collectivité ne s’appliquent pas à elles.

 « J’ai eu affaire, ces dernières années, à une augmentation des consultations d’hommes et de femmes victimes de ces personnalités tyranniques, mais aussi d’adultes tyrans eux-mêmes, traînés dans mon cabinet par leur conjoint ou leurs parents » explique Didier Pleux. Un constat partagé par Cécile Ernst, professeur de sciences économiques et auteur de Bonjour Madame, Merci Monsieur, son constat est amer. « Les adolescents auxquels j’enseigne depuis quinze ans n’ont jamais appris à tenir compte des autres. Le collectif n’a aucun sens à leurs yeux. Ils sont devenus leur propre référence, incapables de se remettre en question. »

 

… Ou pas !

Didier Pleux s’est penché sur l’enfance de ces personnalités égocentriques. Il constate « une survalorisation de leur personnalité. Tous ceux qui viennent en consultation parlent d’une nostalgie de l’enfance, moment où tout est possible, moment de la toute-puissance. La vie doit être plaisir et tout leur est dû. Enfants-rois habitués à être au centre de l’attention familiale, surinvestis, sur-stimulés, ils sont restés dans la quête permanente du plaisir immédiat. Ils veulent se sentir -encore et toujours – au centre du monde.

Lorsqu’ils ont atteint l’âge adulte, cohabiter avec eux se révèle donc pour le moins compliqué. Bruits, affaires qui traînent dans les pièces communes… Ils ne daignent pas se plier aux règles, et ne supportent pas de s’entendre dire « non ! ».

Il ne s’agit pourtant ni de pervers, ni de victimes. Mais ils sont les seuls à pouvoir arranger les choses. A condition de renoncer à leur désir d’omnipotence, d’accepter leurs limites … et qu’ils veuillent évoluer. Encore faut-il qu’ils en prennent conscience.

« La politesse est un code, or les signaux sont différents d’une classe sociale à l’autre, d’une culture à l’autre. Cela s’apprend » explique Dominique Picard dans une interview au magazine Psychologies parue le 10 juillet 2020. Il est donc nécessaire que chacun, à son niveau, refuse de se laisser dominer par l’adulte tyran. « Armons-nous de courage et résistons, propose Didier Pleux. Répondons. Affirmons-nous face aux adultes rois avant qu’ils ne deviennent tyrans. … Refusons fermement les colères, les exigences disproportionnées. Dans la rue, dans les transports, mettons des limites aux comportements débordants. »

 

Une génération d’enfants-rois ?

Le phénomène ne risque-t-il pas malheureusement de s’amplifier ? Tiraillés entre de multiples injonctions éducatives parfois contradictoires, stressés par un rythme de vie effréné, préoccupés par la précarisation ambiante, les parents d’aujourd’hui ne sont pas non plus à l’abri de l’hyper-permissivité. A une époque où le ressenti de l’enfant prime, où la société valorise vitesse et hyper-consommation, il devient parfois difficile aux parents de dire « non » à leurs rejetons, d’exiger qu’ils patientent. Encore plus lorsque leur sévérité est contrebalancée par la permissivité d’un ex-conjoint.

Or les enfants ont besoin de règles et de limites. Et dans ce cas, la co-location apporte une bouffée d’air aux parents solo. La co-location est une bonne école pour fixer règles et limites aux vivre ensemble. Les règles du pacte de colocation, ainsi que les simples règles de savoir-vivre, de respect de l’autre doivent être suivies par tous afin de garantir une ambiance sereine dans la co-location.

Une urgence ? Peut-être. En effet, le nombre de violences et d’incivilités ne cessent d’augmenter par exemple dans les transports. Selon une enquête TNS-Sofres pour la RATP, 97% des voyageurs assurent avoir assisté à au moins une incivilité dans le mois écoulé, ce qui gêne franchement 83% d’entre eux note Pierre Mongin, président de la RATP. « Les incivilités les plus fréquentes ne sont pas intentionnelles. Elles relèvent plus d’attitudes individualistes que de comportements agressifs ». Or pour permettre à une société de fonctionner, le vivre ensemble est nécessaire. Et l’éducation au vivre ensemble et à l’empathie commence dès l’enfance.

 

Vivre ensemble, une limite ?

Heureusement le phénomène de l’adulte tyran, même s’il est en croissance, n’est pas répandu au point de devenir incontournable. Dans ce cas, qu’est-ce qui peut nous empêcher de vivre ensemble ?

« Nous n’avons pas tous la même idée de ce que « vivre ensemble » veut dire, tempère Charles Rojzman, psychothérapeute et inventeur de la thérapie sociale. Par conséquent, nous n’avons pas non plus la même idée des limites à poser, qu’il s’agisse de l’éducation, du couple, des relations professionnelles, de l’immigration, de la tolérance, de la liberté d’expression… ». Les limites au vivre ensemble seront différentes, explique le thérapeute, selon ce que chacun considère comme une atteinte à sa propre liberté ou qui va à l’encontre des règles de la communauté idéale telle qu’on l’imagine.

La solution s’impose d’elle-même. Pour surmonter les limites au vivre ensemble, il faut certes en avoir envie, et surtout en parler ensemble ! Et savoir écouter les autres. Le documentaire « Rue de l’utopie » raconte comment les participants d’un habitat collaboratif s’organisent pour prendre des décisions ensemble sans heurt et sans tension. Tous les habitants ont suivi une formation à la communication non violente.

 

Ou une meilleure connaissance de soi ?

Sans aller jusque-là, ceux qui choisissent de vivre ensemble doivent être prêts à échanger clairement pour établir des règles communes. Ils doivent aussi comprendre quels pourraient être les obstacles et les problèmes à leur vie commune, s’accepter tels qu’ils sont, connaître et respecter les différences de chacun.

S’il est fondamental d’exprimer ses besoins, ses attentes et aussi ses craintes, encore faut-il savoir écouter ceux des autres. « Bien souvent, souligne Charles Rojzman, nous empêchons les autres de s’exprimer. Nous ne sommes pas toujours prêts à entendre ce que nos enfants, nos conjoints, nos collègues ont à nous dire »… et a fortiori, nos potentiels co-locataires. De plus, s’exprimer implique également de se mettre à nu. « La véritable liberté d’expression n’est pas facile. Elle suppose de dépasser notre peur d’être rejetés pour ce que nous pensons. Et d’avoir conscience, pour l’enrayer, de notre propre violence quand nous nous exprimons. » Finalement, chercher à surmonter les limites au vivre ensemble, ne serait-ce pas le meilleur moyen de se connaître soi-même ?

 

Pour tout savoir sur la vie en co-location, consultez la rubrique “Vie quotidienne” du blog de COOLOC, et inscrivez-vous sans attendre à notre newsletter !

Crédit photo : Samuel McGinity