Une société du lien plutôt que du bien ?
Une société du lien plutôt qu’une société du bien fondée sur la propriété et le matérialisme ? Si personne n’a encore de réponse certaine, encore moins en période de confinement, certaines tendances se dessinent. Après la montée de l’individualisme et de la consommation à outrance, le besoin de créer du lien revient en force.
Vers la fin de l’individualisme ?
La fin de l’individualisme est-elle proche ? Certains sociologues en décryptaient des signes avant même que ne commence le confinement. Une analyse tempérée cependant par Jérôme Fourquet, directeur des études de l’IFOP. Il expose, dans son ouvrage L’archipel français, le processus d’atomisation de la société au sein de l’Hexagone. La crise du religieux a ouvert la voie, depuis une quarantaine d’années, à une montée de l’individualisme. La remise en cause de la morale traditionnelle, l’évolution des structures familiales, l’acceptation de l’IVG… Soit autant de facteurs qui ont entraîné la montée de revendications multiples, morcelées. Des communautés se forment, note Jérôme Fourquet, et se côtoient sans se mélanger.
C’est ce que révèle la crise sanitaire actuelle. « Le confinement n’est pas vécu de la même manière entre ceux qui sont obligés d’aller travailler la peur au ventre, ceux qui sont à l’arrêt dans leur logement exigu et ceux qui sont allés passer leur confinement au bord de la mer. Idem lors de la reprise, la situation économique ne sera pas la même entre les salariés des grandes entreprises et les fonctionnaires d’un côté et les intérimaires, les indépendants et les employés des TPE de l’autre. Le coronavirus peut au total être soit un antidote … soit un révélateur supplémentaire de l’archipélisation. L’avenir nous le dira. »
Or, l’individu ne peut se suffire à lui-même, rappelle Jérôme Fourquet, dans une interview accordée à Socle. D’où la formation de communautés, facilitées par l’usage des réseaux sociaux. Ce besoin symétrique de valeurs partagées freine l’atomisation de la société. Jusqu’à empêcher le pire espère Jérôme Fourquet : l’isolement des plus faibles.
Une crise qui montre l’importance fondamentale du soin dans la société
La crise actuelle résulte des politiques néolibérales, estime la philosophe Barbara Stiegler. « Moins il y a de lits, de matériel, de médicaments, de personnels, plus il y a d’agilité, d’innovation de dépassement, d’adaptation et cela est considéré comme moteur de progrès. C’est une façon de montrer que l’on est en avance au regard du monde d’avant. Il faut être performant, moderne, autrement dit « Il faut s’adapter » expliquait-elle à France 3 Nouvelle Aquitaine, le 18 avril dernier.
Or cette tension permanente va à l’encontre des besoins des êtres, en particulier lorsqu’elle s’applique à des métiers fondamentaux : la santé et le soin ou l’éducation… « Dans la vision néolibérale, la conduite des individus doit être modelée par les recommandations des experts. Mais cette crise du coronavirus, comme la crise climatique, révèle le retard des gouvernants, dont les visions sont de plus en plus inadaptées aux réalités et dont les décisions sont de plus en plus éloignées du bon sens des populations » explique Barbara Stiegler. Or les choix de santé publique, d’éducation, d’environnement doivent être l’affaire de tous, pas uniquement des experts et des dirigeants.
Remettre les services essentiels au sein de la société
La crise remet ainsi en lumière des métiers jugés peu qualifiés, mais fondamentaux pour la survie de la société, explique la sociologue du travail Dominique Meda dans une interview parue sur Travailler au futur le 27 mars dernier. « Il y a une contradiction énorme entre la hiérarchie des salaires, de la reconnaissance sociale, d’une part, et l’utilité des métiers, d’autre part. » Si médecins et infirmières font l’objet de la reconnaissance populaire, d’autres métiers sont apparus nécessaires au fonctionnement de la société. « Les métiers du care (le soin et le prendre soin, les aides-soignantes, les aides à domicile, les auxiliaires de vie…) rappelle Dominique Meda, ou aux métiers de la vente, du nettoyage, du transport, de la production (les caissières, les livreurs, les transporteurs, les éboueurs…) »
Tous métiers pourtant dévalorisés par la société néo-libérale. C’est ce que rappelle la philosophe Cynthia Fleury Perkins dans une vidéo publiée par Brut récemment.
Le politique dévalorise des compétences fondamentales comme l’empathie, le soin. Leur caractère naturel, spontané, automatique et souvent féminisé n’est pas un atout en soi. Ces métiers deviennent invisibles et font l’objet, depuis des années de coupes budgétaires drastiques.
Or il apparaît aujourd’hui de façon violente que sans soin, sans empathie, la société s’effondre. L’interdépendance permet à la société d’être plus forte. Tout comme l’interdépendance entre l’homme et le vivant permet la survie de l’espèce. L’économie néo-libérale et les politiques qui en découlent nient ce lien fondamental au profit d’une société du bien plutôt que du lien.
Prendre en compte l’humain et pas uniquement le besoin
Il est pourtant essentiel. Pour sortir de la crise actuelle, Cynthia Perkins et Catherine Tourette dans une tribune publiée dans Libération, le 8 avril, appelaient à un « confinement solidaire ». « Si l’expérience vécue du confinement est négative, les conséquences au-delà des individualités concernées affecteront le système de santé qui l’organise et les politiques publiques qui la prescrivent. En conclusion, il est important de mettre en œuvre des stratégies d’accompagnement psychosocial des mesures de santé publique liées au confinement afin de rendre celui-ci le plus acceptable possible, et le moins post-traumatique possible. » En prenant en compte l’humain et ses besoins, la société guérira du virus, mais aussi de ses maux plus profonds.
En avance sur les politiques : une société fondée sur le lien plutôt que le bien
La société n’a cependant pas attendu le politique pour s’organiser. Nombre d’initiatives représentatives d’une société qui préfère le lien au bien voient le jour en dehors de tout cadre public. De nombreuses appli comme Indigo recréent du lien social grâce à l’échange, tandis que d’autres comme Gens de Confiance recréent de la confiance entre internautes. Le design inclusif prend en compte les différences et se rend accessible à tous. Jusqu’à l’immobilier qui vient en aide aux plus faibles, par exemple avec les colocations solidaires d’Habitat et Humanisme ou de Caracol ouverts aux réfugiés. Ou la colocation destinée aux personnes âgées. On sait en effet depuis plus de 10 ans que c’est la force des liens sociaux qui permettent aux gens et notamment aux personnes âgées de vivre mieux et plus longtemps.
C’est dans ce mouvement que COOLOC s’inscrit, en recréant un lien de confiance entre colocataires et propriétaires et en animant une communauté fondée sur l’échange, l’entraide et la solidarité, une communauté fondée sur le lien plutôt que sur le bien.
Pour tout savoir sur la vie en co-location, consultez la rubrique “Vie quotidienne” du blog de COOLOC, et inscrivez-vous sans attendre à notre newsletter !
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