La communauté … ou l’art de vivre ensemble
Vivre ensemble ou le renouveau de la communauté ? Après avoir été associée à une idée de repli identitaire, le concept de communauté se développe dans tous les domaines et activités possibles. Mieux encore, il donne aujourd’hui des clefs pour vivre – mieux – ensemble.
La communauté en plein re-nouveau
Michel Maffesoli, auteur du Temps des tribus, estime en effet que « nous passons de l’ère du je à l’ère du nous. Nous voyons, depuis quelques années se développer la co-location, le co-working et autres co-voiturage. Ce petit préfixe « co- » vient du cum latin qui signifie avec. Force est de remarquer qu’il se développe dans tous les domaines. L’ère moderne – qui va du XVIIe jusqu’au milieu du XXe – a été marquée par l’essor de l’individu. Elle est en train de s’achever. Aujourd’hui, nous sommes entrés dans la post-modernité, marquée par le retour du nous. Ce qui s’impose, c’est l’idéal communautaire. Il y a 20 ans, je parlais de tribus. Aujourd’hui, nous parlons de communautés, mais l’idée est la même : c’est le « nous » qui s’impose. »
La communauté : une solidarité
La communauté joue donc un rôle fondamental : « elle nous permet d’accueillir et d’aider les gens d’une manière que nous serait impossible en tant qu’individu, explique Virginia Perez Nieto, consultante et spécialiste du coliving. Dans une communauté, vous ne restez jamais seul. Vous pouvez parler de vos problèmes et vous n’êtes plus seul. D’autres personnes traversent les mêmes épreuves, et peuvent vous aider à les traverser. Avec le covid, j’ai commencé à travailler comme bénévole pour une association à Barcelone. C’est là où vous vous rendez compte que beaucoup de gens sont seuls. Je pense à cette femme âgée, qui n’a plus personne. C’est son voisin d’en face qui va faire ses courses pour elle… »
Une récupération consumériste ?
Ce retour de la communauté s’impose dans tous les domaines, au point que nombre d’entreprises se sont emparées du concept et revendiquent une communauté … de consommateurs. Un paradoxe ?
Pas du tout, selon Michel Maffesoli : « Les entreprises pressentent qu’il existe une économie de la communauté et cherchent à en profiter. C’est un indice très intéressant. Il prouve qu’il existe bien une tendance de fond, un véritable tsunami. On ne peut faire l’économie de la communauté. Les entreprises vont l’utiliser car, évidemment, elles n’ont pas le choix. Et ce, même si le concept même de communauté ne correspond pas à la logique matérialiste qui prédomine avec le capitalisme. L’entreprise réfléchit en termes quantitatifs. Or la logique de la communauté est de l’ordre du qualitatif. Comme cette dernière est dans l’air du temps, les entreprises cherchent à la récupérer. »
Un rapport privilégié avec les marques…
Les communautés de consommateurs ne seraient-elles qu’un concept marketing de plus ?
« Peut-être, notamment pour les marques traditionnelles qui cherchent à s’imposer sur les réseaux sociaux. Mais des entreprises plus récentes, nées à l’ère du digital, ont développé un rapport privilégié avec leurs consommateurs… voire avec un public qui n’est pas consommateur.»
« Avant même de commencer à vendre, nous avons co-créé nos produits avec de futurs consommateurs. » explique Laure Favre, co-fondatrice de Spring qui fabrique des lessives et détergents clean et efficaces. « Nous avons demandé aux personnes qui nous suivaient sur les réseaux sociaux quels parfums de lessive ils souhaitaient avoir. Ils nous ont donné plein d’idées. Nous avons développé 4 familles de parfums issues des propositions reçues. Nous avons de nouveau sollicité nos followers pour qu’ils choisissent les parfums finaux.»
Un choix original, mais lié à l’expérience de Laure et de ses co-fondateurs dans le secteur. « Dans les gros groupes de détergence, la distance est énorme entre le consommateur et la marque. Ils ne se parlent pas. Aujourd’hui, avec Spring, je discute en direct sur Instagram avec nos followers. Cela se révèle d’une richesse extraordinaire. »
Afin d’être au plus proche des attentes de ses clients, la marque de parfums Marcelle Dormoy a pris l’habitude de faire des sondages. « Vu les taux de participation, les gens aiment qu’on les interroge, confirme Louise du Bessey, CEO de la marque. Ce n’est pas pour autant révélateur de l’ensemble de nos clients. Ceux qui parlent ne représentent qu’une petite frange de notre communauté. La majorité est silencieuse. Mais interroger les clients engage la marque envers la communauté et la communauté envers la marque. » Au point de pousser l’expérience encore plus loin. « Nous voudrions co-créer notre cinquième parfum avec notre communauté : le choix du jus, le design, le nom… voir comment aller plus loin ensemble. »
Une nouvelle relation entre marques et communautés
Le dialogue direct avec les consommateurs rassemblés en communauté serait-il l’avenir des marques ? « C’est très précieux pour les marques aujourd’hui » affirme Louise. La marque a d’ailleurs fait le pari audacieux d’être distribuée quasi exclusivement en ligne, ce qui présente des avantages : « Si nous n’étions vendus qu’en magasin, nous ne verrions jamais nos clients. Les réseaux sociaux favorisent des échanges très spontanés. C’est très adapté aux petites structures qui réagissent vite. »
Ces échanges ont aussi l’avantage de booster les entrepreneurs « C’est génial d’être aussi proche des consommateurs. Quand l’un d’eux nous dit qu’il adore ce qu’on fait, cela nous donne énormément d’énergie. C’est virtuel mais c’est chouette d’avoir un lien direct » témoigne Laure Favre.
Et de l’autre côté de l’écran, cela pousse à faire des choix osés. « Les gens qui nous achètent sont courageux car ils ne nous connaissent pas forcément » explique Louise du Bessey. « Nous avons mis au point un questionnaire pour mieux cerner la personnalité et le parfum qui correspond à nos clientes. Nous proposons des échantillons dans une pochette remboursée en cas d’achat. Nous offrons les frais de ports, les retours. Bref nous sponsorisons l’audace ». Une expérience inimaginable dans les réseaux de distribution traditionnels.
Des marques créées à partir des désirs de leurs consommateurs
La co-création est déjà une réalité. Dans la grande distribution par exemple, la marque C’est qui le patron ? sollicite, pour chaque produit – du lait au poulet en passant par la crème fraiche ou le chocolat- les consommateurs afin de créer le cahier des charges. Sont pris en compte des critères tels que le lieu de fabrication ou d’élevage, le prix payé aux producteurs…
Les consommateurs sont sollicités aussi bien sur la rémunération des producteurs que sur les conditions de travail et de production des produits. Le prix varie en fonction des critères retenus. Distribués par les circuits classiques, la traçabilité des produits est assurée. Pas de publicité traditionnelle, mais un investissement massif sur les réseaux sociaux pour établir ce dialogue direct avec le consommateur. « Aujourd’hui, les consommateurs ne font plus de concession entre leur santé et celle de l’environnement » remarque Laure Favre. Et c’est ce qui ressort : lorsqu’ils sont directement sollicités, ils font des choix éthiques, sains et responsables.
Une telle démarche serait impossible sans internet, qui permet aujourd’hui de créer du lien. « Nous assistons au développement, internet aidant, des entraides, de la générosité, du qualitatif, du partage, de la solidarité. Soit autant de concepts ayant une connotation un peu religieuse. Mais justement le terme religion vient là encore du latin re-ligare, ce qui nous relie aux autres » remarque Michel Maffesoli. Et ce lien nous permet de faire les choix nécessaires afin de mieux vivre ensemble.
Un processus communautaire qui s’étend de plus en plus
Mieux consommer pour mieux vivre ensemble ? Cela s’applique aussi à des secteurs connus pour être polluants, comme la mode. Coton Vert, une jeune et dynamique marque de vêtements en coton bio en fait l’expérience au quotidien. A sa tête, Benjamin. Ce jeune entrepreneur souhaitait monter un projet de vêtements éthiques. « A l’époque, je voulais m’habiller de façon plus responsable, mais il n’y avait pas une grande offre : soit un style baba cool, soit des basiques hors de prix, bien au-dessus de mes moyens. J’ai cherché des marques dans mon budget, mais cela n’existait pas. »
Dès le départ, son projet s’appuie sur la communauté. « J’ai commencé à communiquer sur des groupes Facebook ciblés vêtements, environnement. J’expliquais que je voulais monter un projet de mode éthique, collaboratif. J’ai rapidement rassemblé une petite communauté avec laquelle j’ai échangé sur tous les aspects du projet, via des débats, des sondages, des formulaires. Le nom, le logo, le type de vêtement… tout a été décidé, discuté avec la communauté. Par exemple, au départ, je pensais mettre des messages éthiques sur les tee-shirts. Quand j’en ai parlé dans la communauté, les gens trouvaient ça intéressant. Mais ils m’ont rapidement avoué qu’ils avaient besoin de vêtements simples, basiques, pour tous les jours. C’est donc dans cette direction que Coton Vert est allé. »
Et le résultat est là. « Il y a eu plus de 310 précommandes lors d’une première opération de crowfunding sur Ulule pour le premier tee-shirt. C’était un bon démarrage et la preuve que le projet intéressait les gens au-delà de la communauté. »
Une communauté qui s’appuie sur des valeurs
« Produire en France des tee-shirts en coton bio à des prix accessibles était impossible. La moindre pièce coute minimum 45€. Or le prix est souvent le premier obstacle pour les consommateurs. J’ai donc choisi le commerce équitable.
J’avais déjà une bonne expérience acquise chez Artisans du monde, un réseau associatif de vente de produits équitables. Après un an de recherche, j’ai trouvé un fabriquant au Bangladesh. Nos produits sont en coton GOTS, un coton bio, traçable moins vorace en eau et en énergie que le coton conventionnel. Il est travaillé et transformé dans des usines socialement responsables qui assurent des bonnes conditions de travail à leurs employés. J’ai été critiqué lorsque j’ai dit que je faisais fabriquer les vêtements au Bangladesh. Mais c’est aussi un moyen d’aider un pays en difficulté et montrer aux ouvriers locaux et aux habitant qu’on peut travailler dans de bonnes conditions et ne pas être exploité pour un salaire de misère.
De plus, nous ne nous contentons pas de vendre nos produits. Nous cherchons à sensibiliser les consommateurs, à notre minuscule échelle. Sur le blog et les réseaux sociaux, nous donnons des infos sur d’autres produits que les nôtres. Je veux sensibiliser les gens aux problématiques du textile et de la consommation responsable, mais aussi montrer des solutions concrètes. Nous avons, par exemple, rédigé des articles sur les marques de mode éthiques et accessibles, un autre sur les grandes tailles et la mode éthique. »
La force de la communauté
« Je pense que les gens se sentent proches de Coton Vert parce que nous sommes sincères. Ils le ressentent. Nous n’avons pas une démarche purement commerciale. La marque est en phase avec ses valeurs. Pousser à consommer n’est pas cohérent avec le développement durable. Alors, j’incite les gens à ne pas acheter s’ils n’ont pas besoin de vêtements.
Lorsque nous traversons des moments difficiles, j’en parle directement sur le blog et les réseaux sociaux. C’est dans ces moments que j’ai vu la force de communauté. C’est fou de recevoir autant de messages de soutien. Les gens passent commande pour nous soutenir. C’est extraordinaire.»
Et c’est peut-être un signe -supplémentaire- de changement, où consommation va de paire avec responsabilité et solidarité. « Lorsque naissent des nouvelles entreprises, elles doivent toujours être innovantes, remarque Benjamin. Avec Coton Vert, je n’ai rien lancé de nouveau. C’est le collaboratif qui prime et c’est peut-être ce qui est innovant.»
Pour tout savoir sur la vie en co-location, consultez la rubrique “Vie quotidienne” du blog de COOLOC, et inscrivez-vous sans attendre à notre newsletter !
Crédit photo : Samuel McGinity