Le coliving pour parent solo : effet de mode ou réelle solution ?
Le coliving version parent solo ? Les initiatives se multiplient et pourraient rapidement tenir une place dans le paysage en pleine ébullition du coliving. En France, des opérateurs de coliving majeurs comme Colonies réfléchissent à une offre spécifique.
Mais le coliving pour parent solo, est-ce une solution ? Répond-il vraiment aux besoins des familles monoparentales ?
Pourquoi un coliving pour parent solo ?
Cohabs est l’un des premiers acteurs de coliving à avoir ouvert une maison pouvant accueillir des couples et des parents solos à Bruxelles. C’était une évidence explique Kevin Martel, chargé du marketing de Cohabs. « Nous recevions de nombreuses demandes de personnes avec un jeune enfant qui nous demandaient s’il était possible de vivre en coliving avec un enfant. La plupart d’entre eux ont leur enfant une semaine sur deux. En attendant de trouver une solution pérenne, ils cherchent un logement assez flexible. Le coliving, avec ses grands espaces communs, correspond à leurs besoins. C’est une demande de longue date. De notre côté, nous pensions aussi que le coliving n’est pas réservé seulement aux célibataires, aux étudiants ou aux expatriés. Il doit s’adresser à tous.»
Car se reloger suite à une séparation est loin d’être évident. « On se retrouve en concurrence avec les familles traditionnelles, surtout dans les grandes villes. À Lyon, par exemple, un parent solo avec une garde alternée doit attendre 18 mois avant d’obtenir un logement social. Certains décident, en dépit de la séparation, de rester vivre avec leur ex-conjoint le temps de trouver une solution. Moi-même, lorsque je me suis séparé, j’ai vécu dans une colocation avec des étudiants. Je ne pouvais pas y recevoir mes enfants » témoigne Nicolas Baumer, papa solo.
Parent solo une situation fréquente… mais largement ignorée
Selon une étude de l’INSEE, 21% des enfants en France vivent dans une famille monoparentale. Ce taux grimpe à 29% dans les grandes villes. « A Lyon, on compte chaque année 1 000 foyers monoparentaux supplémentaires. Plus de 50 000 foyers, soit 120 000 habitants sont des familles monoparentales. Les parents solos représentent 10% de la population dans les grandes villes » rappelle Nicolas Baumer.
Or, à l’heure actuelle, rien n’est pensé en termes de logement pour ce public spécifique. Alors pourquoi choisir le coliving quand on est parent solo ?
Coliving et accompagnement
C’est ainsi qu’est né Kozoku, un projet de coliving parental porté parNicolas Baumer et Lucie Paquet, tous deux professionnels de l’immobilier… et parents solos. Le terme Kozoku signifie « la tribu des solitaires ». Ce néologisme japonais part du constat que les familles traditionnelles ne sont plus nécessairement la norme. Les personnes seules, les familles recomposées ou monoparentales, de plus en plus nombreuses, doivent logiquement être prises en compte.
Kozoku veut proposer un logement et accompagner les familles monoparentales. « Lors d’une séparation, en plus d’une recherche de logement, généralement très compliquée pour les parents solos, ces derniers doivent faire face à des difficultés psychologiques, économiques et souvent sociales, avec un isolement dur à supporter. »
L’objectif de Kozoku est de résoudre la question du logement dans l’immédiat à travers le coliving et d’accompagner les parents solos dans le processus de séparation. « Kozoku est une phase transitoire qui permet d’aller vers une solution de logement pérenne adaptée à la famille monoparentale concernée. » Kozoku travaille avec des agences immobilières et des organismes qui aident les parents solos à louer un appartement ou à acheter un logement.
Un phénomène de saturation
Concrètement, les familles qui arrivent chez Kozoku font le point sur leur situation. Cela leur permet d’établir les priorités : qui doivent-elles contacter ? Un médiateur, un psychologue, un juge, un avocat, un notaire…. Comment s’orienter dans le monde administratif ? Où trouver des professionnels sensibilisés aux enjeux de la séparation ?
« En effet, pour les personnes en pleine séparation, il y a un phénomène de charge mentale, d’épuisement. Ils renoncent à aller au bout de certaines démarches car ils n’ont pas rencontré le bon professionnel ou alors cela s’est mal passé. Nous les accompagnons en voyant avec eux où ils en sont, qui ils ont déjà rencontré…. Selon leurs besoins, nous les mettons en contact avec notre réseau ».
Pourquoi choisir le coliving quand on est parent solo ?
Au-delà de ces besoins pratiques, comment expliquer l’intérêt des parents solos pour le coliving ?
Le coliving est temporaire par principe explique Kevin Martel. «Certains parents solos cherchent un logement pour 3-6 mois avant de finaliser un achat immobilier. Et puis, ils ne veulent pas être seuls. »
Vivre avec d’autres parents solos qui comprennent vos besoins, et avec lesquels échanger est nécessaire reconnaissent Lucie Paquet et Nicolas Baumer. « Après ma séparation, raconte Lucie, j’ai emménagé dans un nouvel appartement. Ma voisine de palier – qui a emménagé le même jour- était aussi maman solo. On s’est soutenues lors des moments difficiles.» C’est ainsi que Lucie a commencé à imaginer Kozoku.
« Nous avons réalisé un sondage, des interviews. Nous faisons une veille sur les réseaux sociaux où il existe beaucoup de groupes de parents solos très actifs. La demande d’accompagnement, pour sortir de l’isolement est très forte. C’est comme un monde parallèle que l’on ne découvre qu’une fois qu’on est dedans ! » remarque Nicolas.
Les spécificités du coliving pour parents solo
Le coliving a cependant l’image très marketée d’un mode de vie fondé autour de la sociabilité qui semble mal s’accommoder à la vie de parent solo. Dans ce cas, comment se présente le coliving version famille monoparentale ?
Chez Cohabs explique Kevin Martel : « les chambres destinées aux familles monoparentales sont plus grandes. Elles comprennent un espace spécifique avec un lit pour 1 enfant. Elles sont vraiment conçues pour de jeunes parents divorcés ou célibataire avec un enfant. »
La maison Cohabs à Ixelles dispose bien sûr d’une grande cuisine, d’un grand salon. Mais elle a aussi une salle de jeux et un mobilier dédié aux enfants (chaise haute…) Comme dans les autres coliving, un brunch mensuel est organisé pour tous les locataires. «On espère qu’une dynamique se crée entre les gens, que les enfants fassent partie de la vie commune dans la maison et entraîne des échanges entre les membres. Nous l’avons réfléchi dans ce sens. »
Chez Kozoku, ce sont des appartements et non des chambres qui sont prévus à terme. L’association travaille actuellement sur deux projets de résidence explique Nicolas. « Le concept de base, c’est un immeuble qui propose 35 logements, chacun d’une superficie comprise entre 23 et 55m2. Nous concevons le logement et la chambre pour enfants avec un architecte spécialisé. L’important est de savoir comment les enfants s’approprient un espace, un lieu, même si c’est de façon temporaire. »
« Des espaces partagés viennent simplifier le quotidien tout en créant des opportunités de convivialité et de rencontre : salle de jeux, espace séjour, buanderie, grande cuisine collective pour recevoir des invités ou organiser des repas en commun. Sinon, chacun dispose de sa propre kitchenette dans son appartement » expliquent Nicolas et Lucie.
Une perte de pouvoir d’achat importante
« Lors d’une séparation, les femmes subissent une plus grosse perte de pouvoir d’achat (jusqu’à 30% contre 6% pour les hommes). Assumant majoritairement la garde, les mères célibataires doivent aussi assurer tous les sujets logistiques. Ce sont souvent elles qui, après la séparation, sacrifient le plus leur carrière pour s’occuper des enfants. Cela accentue davantage ce cercle vicieux de la perte de pouvoir d’achat. Ce problème est encore plus présent dans les grandes villes où les habitants sont souvent éloignés de leur famille. Il est alors plus difficile de faire garder ses enfants « gratuitement » les mercredis ou à la sortie de l’école » soulignent Lucie Paquet et Nicolas Baumer.
La double peine pour les femmes. D’autant plus que « statistiquement, les hommes se remettent plus vite en ménage que les femmes. Ce qui leur simplifie encore le problème du coût du logement. Et on ne parle pas du problème des pensions alimentaires misérables et/ou impayées, de la charge pour l’ensemble du dossier quand le couple (ou ex-couple) a besoin de faire appel à la justice pour un arbitrage. »
Et un loyer qui reste conséquent
Dans ce contexte, la question du loyer est délicate. Vivre en coliving a un coût. Chez Cohabs, il faut compter entre 890 et 1 100 € par mois la chambre. Soit le loyer d’un appartement normal. Avec de nombreux services en plus rappelle Cohabs. Ménage hebdomadaire, linge de maison, presse disponible sur iPad, abonnement à Netflix, ou encore vélos à disposition et grands espaces communs sont compris dans le loyer. De plus, rappelle Kevin Martel, les parents solos eux ne sont plus confrontés au risque de « se retrouver seuls dans un petit appartement. » C’est la force de Cohabs, dont le succès repose notamment sur le bouche-à-oreille. « Les futurs locataires savent que, chez Cohabs, la vie en communauté est essentielle.»
Chez Kozoku, la question du loyer est elle au cœur de la réflexion. À surface privée égale, le coliving reste plus cher. « Mais il est inférieur en coût global et démultiplie l’offre de service : les locataires viennent y chercher du lien social ou une appropriation du lieu qu’ils n’ont pas à l’hôtel. En général l’espace privé est plus grand et plus complet que dans une colocation classique. »
Afin de maintenir des loyers abordables, Kozoku travaille avec des foncières ou des collectivités qui acceptent des rentabilités plus faibles car leur rôle est de contribuer à l’émergence de projets à impact social.
La mutualisation pour principe
« La mutualisation est fondamentale pour faire fonctionner le modèle économique de Kozoku » estiment Lucie Paquet et Nicolas Baumer. « Nous envisageons notamment de proposer une colocation d’étudiants intéressés pour faire du baby-sitting ou rendre des services dans la résidence… Nous travaillons la chronotopie qui consiste à accueillir différents usages en fonction de la temporalité, sous-louer la salle de jeux à des associations la journée en semaine par exemple. Bref, nous avons vraiment cette volonté d’optimiser l’utilisation de l’espace en fonction des moments de la journée, ce qui va plutôt à l’inverse de l’immobilier d’aujourd’hui où chaque espace est consacré à un usage bien précis. »
L’idée du coliving pour répondre aux problématique du logement fait son chemin. Des municipalités s’emparent de l’idée. La ville de Montreuil met en œuvre la réhabilitation d’une ruelle, le lot Volpelier qui inclura un village du réemploi ainsi que des logements en coliving destinés à de jeunes travailleurs et des familles monoparentales.
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Crédit photo : droits réservés Thierry Fournier