Alimentation : le nouveau défi des villes

Vie quotidienne
Alimentation et circuits courts : les villes veulent redevenir autonomes

Reprendre en main leur alimentation, privilégier les circuits courts, développer les cultures locales : de plus en plus de villes cherchent à retrouver une autonomie alimentaire. Mais comment assurer son autonomie alimentaire, quand la campagne s’éloigne de la ville au profit des habitations et des centres commerciaux ?


Dans les petites et moyennes villes, le choix d’une alimentation locale et bio

A Grande-Synthe (Nord), la mairie a acquis pas moins de 14 ha de terrain en quelques années. L’objectif du maire, Damien Carême, est simple :  parvenir à “l’autonomie alimentaire pour la restauration collective sur la ville pour les cantines scolaires, les personnes âgées et peut-être de la restauration d’entreprise. « Et, ce que je voudrais, c’est qu’on soit en autonomie alimentaire pour l’ensemble de la population, pour les 23 000 habitants. » Les terres sont cultivées par des maraîchers, qui paient un loyer annuel de 65 €. Toute la production est bio, bien sûr. »

A Vannes (Bretagne), c’est sur la qualité de l’alimentation dans les établissements scolaires que la mairie mise. La ville a recruté une diététicienne pour élaborer les menus. Les produits sont  issus de filières biologiques et labellisées. Et la cuisine est organisée en régie municipale.

En mars, la ville a recruté  un maraîcher, pour cultiver un hectare de terre appartenant à la municipalité. Il  fournira en fruits et légumes de saison les établissements municipaux. Dès le second semestre 2019, les crèches municipales devraient en profiter avec des repas 100% locaux et bio. Vannes est dont la première ville de Bretagne à avoir sa propre régie maraîchère, bio et on ne peut plus locale.


Les grandes villes à la recherche d’un modèle de circuit court

Ce que Vanne et Grande-Synthe ont réussi à faire, est-il possible de le reproduire à grande échelle? Paris, Détroit, Taïwan, Montréal… testent un retour à une production intra-muros.  “Paris intramuros, en 1800, était autosuffisant alimentairement” rappelle le géographe Gilles Fumey “L’Ile-de-France, par exemple, est au centre des meilleures terres agricoles françaises, avec la Brie, la Beauce, la plaine de France. Un capital agricole considérable”. Ce qui pourrait être la réponse pour une production en circuit court.

Mais Paris pourrait-il redevenir autonome alimentairement ? “On ne pense pas que Paris (ou des métropoles) puissent redevenir autonomes” répond Gilles Fumey. “Mais on peut remédier à trop de dépendance. La politique foncière dépend des pouvoirs publics. Ce ne sont pas les promoteurs qui sont les plus forts s’il y a une volonté de régulation.”


Initiatives privées… et publiques

En parallèle, depuis des années, les initiatives privées se multiplient dans la capitale. Des apiculteurs ont envahis les toits du Musée d’Orsay et les Invalides. Des producteurs font pousser des tomates sur le toit des Galeries Lafayette.

Et depuis 3 ans maintenant, la Ville de Paris lance un appel d’offres annuel, les Parisculteurs. Son objectif : végétaliser 100 hectares de bâti d’ici 2020 dans la capitale. Un tiers est consacré à l’agriculture urbaine. Dans les faits, cela se traduit par du safran qui pousse sur les toits des Monoprix  et des légumes anciens en permaculture sur les toits de l’université Panthéon -Sorbonne. Sans oublier le potager entre les métro Stalingrad et La Chapelle. Un exemple de circuits courts : les riverains et associations de voisins peuvent acheter la production de ces potagers urbains.

 

Recréer les liens entre villes et campagne

Ce besoin de revenir à la culture, à la terre dans les villes est finalement naturel : “aucune ville ne peut exister sans campagne. Les premières villes de l’Histoire, nées en Mésopotamie, ainsi que les polis grecques, étaient des villes-États. Leur cœur urbain était entouré de terres cultivables. La production de nourriture était proche.” explique Carolyn Steel, géographe et auteur du best seller Villes Affamées.

Lorsque la ville grandit, la campagne s’éloigne souligne-t-elle. Or impossible de vivre sans s’alimenter. “La dépendance des villes vis-à-vis de leurs arrière-pays est méconnue depuis longtemps. Pendant des siècles, la campagne a été réprimée, écartée, au profit des villes, où siégeait le pouvoir, et qui écrivaient l’histoire. Nous avons même fini par développer une compréhension très « urbano-centrique » de nos vies”

Le modèle alimentaire des villes et l’hégémonie de l’industrie agroalimentaire est aujourd’hui en crise : scandales alimentaires, les méfaits de la malbouffe (1 enfants sur 5 est obèse avant le primaire en Grande-Bretagne) alimentent les réflexions sur nos habitudes et nos modes de vie. Sans compter que, parmi les causes majeures de la pollution, on trouve le changement de régime alimentaire et la consommation excessive de viande. Le changement est urgent. Et il touche une question centrale : notre alimentation

 

Favoriser des circuits courts pour se remettre en cuisine

Or cuisiner s’accorde mal avec le rythme trépidant des métropoles. Restaurations rapide, start up de livraison de repas fleurissent dans les grandes villes. Mais en parallèle, les championnes du circuit court, les AMAP (Association pour le Maintien d’un Agriculture Paysanne) se multiplient. Il y a plus de 2 000 AMAP en France qui permettent au producteur d’écouler toute sa production, en circuit court auprès de 270 000 consommateurs.

Les citadins auraient-ils envie de remettre les mains à la pâte et les pieds dans la cuisine? “La cuisine est au cœur de la question » souligne Gilles Fumey . « On travaille à faire revenir les consommateurs en cuisine, à préparer leurs repas.” Et cela fonctionne. Blogs, émissions, livres… Jamais la cuisine n’a eu autant de succès. “Les gens réalisent qu’ils ne savent pas très bien ce qu’ils mangent quand ils achètent des plats cuisinés. Ils ont envie de se réapproprier leur alimentation et se disent : « je vais le faire moi-même, au moins je saurais ce qu’il y a dedans » explique Déborah Dupont, de la Librairie Gourmande, dont la clientèle s’est rajeunie et élargie depuis quelques années.

 

L’alimentation, au cœur de la question

Aujourd’hui, observe Carolyn Steel, il « ressort une culture de la nourriture extrêmement fragmentée, éloignée de la culture traditionnelle qui, en imposant des règles parfois contraignantes – quand, comment et combien manger – garantissait toutefois aussi une hygiène de vie, du temps consacré à la nourriture, un soutien à l’économie locale, de la sociabilité… » Et de fait, certains citadins prennent la décision de revenir à la campagne, de se lancer dans l’agriculture ou l’élevage. ”Les indices du bonheur mondial le montrent bien, rappelle Carolyn Steel. Une fois atteint un certain niveau, s’enrichir ne rend pas plus heureux. Et apparemment, vivre à la campagne permet souvent de satisfaire plus facilement les besoins de base que vivre en ville.”

Finalement, les changements liés à la nourriture et à l’alimentation seraient bien plus profonds.

“Nos sociétés manquent de lien social” explique Gille Fumey. Or autour de l’alimentation, s’organisent des échanges et se tisse le lien social. Ainsi une solution conclut Gilles Fumey, serait d' »essayer de mobiliser un maximum de monde autour de l’alimentation. »

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Crédit photo : Samuel McGinity