Comment faire pour vivre ensemble ?
C’est une question qui se pose au quotidien. Non seulement aux co-locataires, mais aussi à ceux qui ont choisi l’habitat participatif.
Si une colocation se passe mal, les colocataires peuvent toujours se séparer. Avec l’habitat participatif, difficile de s’en aller après avoir investi du temps et de l’argent dans le projet. Apprendre à vivre ensemble devient donc une nécessité absolue pour que l’expérience dure dans le temps.
Comment font les habitants des habitats participatifs pour que cela tienne ? C’est à cette question que la monteuse et réalisatrice Josiane Zardoya a voulu répondre avec un film documentaire, “Rue de l’Utopie” consacré à un habitat participatif dans la région de Toulouse.
De quoi parle “Rue de l’utopie” ?
Nous avons filmé, à côté de Toulouse, un habitat groupé qui existait depuis 2 ans, baptisé “L’Ouvert du Canal”.
Notre objectif n’était pas de filmer la genèse du projet. Cela a déjà été fait par ailleurs. En revanche, nous voulions montrer comment on fait pour vivre ensemble et éviter de se détester trop vite. Ce qui nous intéresse avec ce film, c’est d’ouvrir un débat sur la question du vivre ensemble. On a filmé une expérience locale, grandeur nature qui en dit long sur ce que cela représente concrètement.
Nous parlons d’habitat partagé mais cela fonctionne aussi dans le travail et dans tous les cas où il faut prendre une prise de décision collective par exemple…
Notre intérêt n’était pas de faire un film « bisounours » mais de montrer les choses comme elles se vivent. Au départ, les gens sont enthousiastes, tout semble facile. Et rapidement des intérêts contradictoires entrent en jeu. Si on n’a pas d’outils pour huiler les contradictions, on va au clash.
Concrètement comment font les habitants pour vivre ensemble ?
Nous avons filmé les différentes questions qui sont apparues pendant un an et surtout leur mode de prise de décision : comment le groupe utilise la communication non violente lors des réunions.
Assez classiquement, il y a un président de séance et quelqu’un qui prend des notes. Mais surtout ils font tourner la parole. Ils insistent beaucoup là-dessus : chacun doit s’exprimer. Il ne faut surtout pas que ce soit toujours les mêmes qui prennent la paroles ou qu’émerge un leader.
Il n’y a pas de vote majoritaire. Ils cherchent le consensus. Chacun doit s’exprimer, celui qui n’est pas d’accord doit expliquer pourquoi et ce qu’il aurait voulu. Il n’est pas rare qu’au bout d’une ou deux réunions, les positions des uns et des autres aient évolué. C’est très efficace.
Parfois, selon les sujets, ils décident simplement de laisser la question de côté pour en reparler plus tard. Lorsque le sujet est vraiment épineux, ils font appel à un médiateur extérieur.
Qu’est-ce qui permet aux habitats participatifs de tenir dans la durée ?
C’est un processus long, très long qui peut durer de 4 à 15 ans. Avant même la construction, il n’est pas rare de passer 5 à 6 ans en réunion.
Avant que “l’Ouvert du Canal», ne voit le jour, il y a eu 4 ans de réunions…. Un premier terrain avait été trouvé il y a une dizaine d’années. Ils étaient alors une quinzaine de foyers à travailler sur ce projet. Mais l’achat a capoté et beaucoup sont partis. Il ne restait plus que trois familles qui ont essayé de repartir. Ils ont trouvé ce terrain et ont réussi à faire venir 5 autres foyers.
Tout ce temps passé à discuter et à chercher, cela permet de se rencontrer et de bien se connaître avant d’acheter et de construire. On discute de la conception du projet, de la salle commune, de la taille de la buanderie, du jardin…
Et comme dans une colocation, il faut instaurer un minimum de règles sur lesquelles on s’entend. Il faut être à l’écoute, partir sur les mêmes bases, avoir une charte de départ que tout le monde signe.
Qu’est-ce qui change par rapport à une propriété classique ?
Il y a une dimension éthique. En général, on achète son appartement pour avoir un capital et éventuellement, en le revendant, on espère réaliser une plus-value. Dans l’habitat participatif, on a souvent une coopérative d’habitants qui gère l’achat et la vente des appartements. Il n’y a normalement pas de spéculation immobilière.
Or dans ce cas, que laisse-t-on à ses enfants comme capital ? Si les prix de l’immobilier explosent et que pour des raisons éthiques, on ne veut pas revendre au prix du marché, on ne pourra rien racheter d’équivalent avec la vente. C’est plus douloureux.
Plutôt que d’opter pour la spéculation immobilière, il faudrait plutôt que ce genre d’initiative se multiplie. En Suisse, en Allemagne, 20% du parc immobilier est consacré au logement participatif. Cela permet d’échanger, d’acheter ou de vendre dans ce cadre. A l’heure actuelle en France, c’est encore difficile.
Ensuite, par rapport à un logement classique, l’habitat participatif est beaucoup moins cher : 15 à 20% de moins qu’un logement réalisé par un promoteur. Et on se retrouve avec un appartement bien conçu, réalisé avec des matériaux écologiques ou de très bonne qualité, selon les budgets. En contrepartie, on fait beaucoup de choses soi-même, donc cela prend beaucoup plus de temps. A l’Ouvert du Canal, les habitants ont conçu et fait construire, avec un architecte, les 8 logements, mais ils ont construits eux-mêmes les parties communes (le garage à vélo, la salle commune, la buanderie, la chambre d’amis..). Ils ont choisi un grand jardin, quitte à avoir des bâtiments plus denses.
Quels sont les débats que vous avez suivi ?
Il y a 8 logements, 3 célibataires de plus de 60 ans, 5 couples avec des enfants encore petits et l’on voit les divergences sur certains principes. Par exemple, les plus âgés – ayant des enfants adultes – pensaient qu’il fallait coopter les nouveaux arrivants, pour s’assurer qu’ils soient en accord avec les valeurs de base. Dans le cas des enfants ayant grandi là, devaient-ils être cooptés ou pouvaient-ils y habiter de droit ? Les jeunes parents refusaient cette histoire de cooptation. Il y a donc eu un grand débat derrière lequel on voyait la question de la projection sur l’avenir, différente selon les générations. Ce sont des questions que l’on n’a pas l’habitude de se poser mais qui émergent dans ce contexte.
Avoir des valeurs communes et l’envie de vivre ensemble, c’est la base pour que l’habitat participatif fonctionne.
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Crédit photo : Samuel McGinity