Mère célibataire: le poids de la charge mentale
La charge mentale on sait ce que c’est… Mais que sait-on de la charge mentale de la mère célibataire ? Plusieurs livres, témoignages, romans sont sortis ces derniers temps et éclairent le quotidien de ces femmes qui n’ont que trop rarement la possibilité et le temps de prendre la parole. Les femmes sont occupées, le dernier roman de Samira Ayachi le rappelle. Obligée de jongler entre ses obligations de mère, de femme active, la mère célibataire est trop prise sur tous les fronts pour penser à se défendre ou à changer les choses. Et reste, de fait, dans l’ombre de la société.
Le silence des mères célibataires
C’est très étonnant ce qui se passe avec les mères célibataires, remarque la romancière Samira El Ayachi. Elles sont extrêmement nombreuses – on compte 3 millions de familles monoparentales dont l’immense majorité ont une femme à leur tête. « Les mères célibataires ont l’obligation de se démener pour mener de front leurs obligations de mère solo et leur activité professionnelle. Or la difficulté de leur situation est sous-estimée car elles sont trop occupées pour faire entendre leur voix. »
Pourtant la situation commence à évoluer, notamment avec la crise des gilets jaunes qui a permis de mettre en lumière la situation précaire des mères célibataires. « L’héroïne de mon roman comprend que, même si elle vit seule dans son coin, il existe un lien entre sa bataille intime et la révolution à l’œuvre … sauf qu’elle n’a pas le temps d’y aller » raconte Samira. C’est exactement ce qu’explique Julie Dénès, maman solo de deux enfants et auteur d’un témoignage intitulé (Dé) charge mentale. « Je comprends parfaitement le phénomène des gilets jaunes. Je n’y ai jamais pris part cependant, car ils se rassemblaient le samedi. Et moi, le samedi, j’ai les enfants ! »
Débordées, ne pouvant faire entendre leurs voix, les mères célibataires doivent affronter une profonde solitude. « Lorsque l’on compte chaque centime d’euro, on ne sort plus pour aller rencontrer les autres, voir ses amis. Et l’on n’ose plus inviter les autres chez soi. Progressivement on s’isole » remarque Julie Dénès.
Une société organisée pour les couples
Témoignage ou roman, le constat est le même. La société n’est ni faite ni prête à reconnaitre les mères célibataires. « Les mères célibataires sont victimes d’un abandon collectif de la société » explique Samira El Ayachi. En effet, renchérit Julie Dénès : « La société est faite pour les couples : elle a été créée sur la base du couple qui devait faire des enfants. »
Et c’est au moment de la séparation que se dévoile ce qui est masqué par la conjugalité remarque Samira : « la précarité financière des femmes – moins bien payées que les hommes – et le poids de la vie domestique qui repose très majoritairement sur leurs seules épaules. »
La société actuelle accepte que les hommes soient absents de la sphère domestique pour occuper la sphère collective. Ainsi, l’ex-compagnon de l’héroïne, dans le roman de Samira, est absent. « Et rien ne l’oblige à être présent ». Dans ce cas, la réalité rejoint, voire dépasse la fiction. Les associations qui travaillent avec les mères célibataires multiplient les témoignages : pères qui ne daignent pas venir chercher leurs enfants les week end où ils en ont la garde ; pensions alimentaires jamais versées…
L’inégalité est la règle souligne l’héroïne de Samira. Papa solo et mère célibataire ne sont pas logés à la même enseigne. « Le papa célibataire va peut-être très vite trouver une femme pour le seconder.»
La double charge mentale de la mère célibataire
Devant se battre pour la reconnaissance de ses droits et des devoirs de son ex-conjoint, la mère célibataire doit aussi penser à chaque détail de la vie quotidienne. « On ne se rend pas compte de ce que cela coûte à une femme de travailler » remarque Samira. « Elle doit se débrouiller pour assurer toutes ses tâches, organiser sa charge mentale. La mère célibataire finalement travaille pour pouvoir mener sa vie professionnelle. »
Or le travail n’est pas un choix dans son cas. C’est une question de survie pour elle et ses enfants, sachant que nombre de familles monoparentales vivent sous le seuil de pauvreté. Julie Dénès raconte dans son livre comment elle a dû accepter un travail qui ne lui disait rien. Mais elle avait besoin d’un salaire équivalent à trois fois son loyer, pour emménager dans ce qui s’est révélé être un dépotoir, avec cuve à mazout à côté de la salle de bains. « Mais je n’avais pas le choix » explique-t-elle.
Comment expliquer que cette double charge mentale repose sur les épaules des femmes ? Samira El Ayachi a imaginé la rencontre de son héroïne avec une femme ayant participé à la révolution féministe. « Je voulais une confrontation entre la génération #metoo et la génération des années 70. » À l’époque, les femmes ont pensé que, pour être libres, elles avaient besoin d’acquérir leur indépendance économique. « Sauf qu’il n’y a pas eu en parallèle de réflexion sur la répartition des tâches. On commence seulement à reconnaitre – et heureusement ! – le poids de la charge mentale » souligne Samira.
« On se rend compte aussi qu’une grande partie des hommes ont construit leur carrière sur le travail bénévole des femmes. Les femmes, elles, sont dans un déchirement permanent : avoir une vie professionnelle et offrir une enfance normale et une présence rassurante à leurs enfants. »
La mère célibataire, une force – fragile – mais en marche
La mère célibataire est une machine de guerre, souligne Samira. Mais elle est seule. « J’alerte sur le risque de burn out et de surmenage». La mère célibataire, abandonnée par le collectif, doit puiser en elle la force dont elle a besoin pour assumer cette charge mentale. Mais à quel prix ? insiste Samira. On ne sait pas quels renoncements professionnels ou personnels elle a accepté pour assumer seule son travail et sa famille. Certes, elle a un statut symbolique fort mais il existe un décalage énorme entre ce qu’elle affronte et les aides proposées.
Ainsi de nombreuses mères célibataires, à l’image de la puéricultrice et blogueuse Muriel Ighmouracène, remarquent que les aides pour les gardes d’enfants s’arrêtent lorsque ces derniers atteignent l’âge de 6 ans : « Je travaillais en moyenne 50 heures par semaine et dépensais un quart de mes revenus en frais de garde. Ma fille ayant 8 ans, … je n’ai plus la moindre aide pour ces frais. Ce qui est logique, puisque comme tout le monde le sait, un enfant de 6 ans est assez autonome pour se garder seul… La mienne est sûrement juste un peu en retard… ».
Les mamans solo n’ont donc pas droit à l’erreur et ne peuvent compter que sur elles-mêmes pour trouver des solutions.
Mais il y a tout de même une lueur d’espoir soulignent Samira et Julie. Il existe des associations pour les mères célibataires, sans compter que les modes de vie évoluent. La co-location entre parents solo se développe, de même que l’habitat collaboratif. Cela permet de trouver des alternatives et de l’entraide hors de la société de marché pour permettre aux parents solos de vivre une vie à peu près normale.
Mère célibataire : un atout pour la société
Pourtant, remarque Samira, la société perd à ne pas faciliter la vie de la mère célibataire. Toute cette énergie qu’elle déploie pour assurer sa vie et celle de ses enfants, elle pourrait en faire bénéficier la société. « Il me semble que le collectif est privé de la contribution de ces femmes, de leur travail- qu’elles soient infirmières, chercheuses, chef d’entreprise parce qu’elles ne peuvent pas s’y investir suffisamment ».
« Les hommes, depuis des siècles, ont été éduqués pour être invulnérables. Nous vivons dans une société qui ne laisse pas de place à la vulnérabilité. Les femmes doivent être des superwomen. Mais imaginez la société qui serait la nôtre si les femmes avaient plus de poids. En effet, pendant des siècles, les femmes ont été culturellement éduquées pour prendre soin des autres. Que serait une société qui, au lieu de s’appuyer sur les rapports de force, reconnaîtrait la vulnérabilité, l’entraide, la nécessité de prendre soin de l’autre ? Si j’ai écrit ce roman, c’est parce que justement, c’est le rôle de l’écrivain que d’imaginer un monde possible différent de celui dans lequel nous vivons. »
En attendant, Samira dénonce comme une fiction la figure de la mère célibataire comme une parfaite superwoman. « Les femmes sont fortes et vulnérables en fonction de l’humeur, de leur état de fatigue. Nous sommes multiples et nous avons droit de le dire ». Comme quoi, il faut parfois avoir recours à la fiction pour rappeler la réalité.
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