La co-location, un concept vieux comme le monde

Témoignages
histoire de la colocation

La co-location, la co-habitation, l’habitat partagé, des concepts vieux comme le monde ? On réactualise des pratiques qui étaient largement répandues bien avant le XIXe siècle nous explique Alexis Markovics, directeur pédagogique de l’Ecole Camondo et historien de l’architecture.

 

COOLOC : On parle beaucoup de cohabitation, mixité sociale, habitat partagé aujourd’hui. Mais est-ce un concept si nouveau ?

Alexis Markovics : On réinvente des choses qui existaient déjà avant le XIX° siècle. La mixité sociale par exemple était une pratique courante jusqu’à la révolution industrielle. Les quartiers étaient mixtes.

A Paris, dans le Marais, de grands hôtels particuliers côtoyaient des maisons bourgeoises ou des maisons de ville. Et en retrait au fond de la cour, se trouvaient les populations les plus pauvres. Les différentes strates sociales vivaient mélangées.

 

COOLOC : Comment s’organisaient ces différentes populations pour habiter au même endroit?

Alexis Markovics : Prenons l’exemple des maisons bourgeoises au XVIIe. Les plus chics donnent sur la rue et font 2 à 4 étages maximum. Le bourgeois loge au premier étage. Il a pignon sur rue, ce qui signifie que la fenêtre de sa pièce principale dotée d’une cheminée donne sur la rue.

Il arrive qu’il ait son échoppe au rez-de-chaussée et loge son ouvrier. Il n’est par rare que le bourgeois qui a fait construire sa maison loue des pièces pour la rentabiliser.  On peut donc louer une pièce assez facilement au XVIIe siècle,  située plus ou moins en hauteur, selon les moyens dont on dispose.

Vous pouvez très bien louer une pièce pour vivre au premier étage et une autre qui vous sert de cabinet si vous êtes avocat ou notaire pour recevoir votre clientèle au 3e étage.

La location temporaire est monnaie courante chez les notaires et les avocats qui viennent de province pour rencontrer leurs clients. Ils louent une pièce qui leur sert de bureau pour une semaine, un mois, le temps nécessaire pour traiter leurs affaires.

On peut même louer une pièce qui se situe dans une enfilade. On traverse donc des pièces habitées par d’autres pour arriver chez soi.

Dans une maison de ville, tous les habitants, quel que soit leur niveau social,  se croisent. Dans Les Trois Mousquetaires, d’Artagnan monte à Paris et s’installe dans une maison bourgeoise. Il participe à la vie de la maison et finit par tomber amoureux de la femme du propriétaire

 

COOLOC : Et la colocation existe déjà à l’époque ?

Alexis Markovics : Bien sûr. Dans les immeubles, on peut se mettre  à 2 ou 3 personnes quand on n’a pas assez d’argent pour louer seul. C’est d’autant plus facile que le concept d’intimité n’existe pas.

L’intimité, telle qu’on la conçoit aujourd’hui, est apparue au XIXe. Auparavant, on avait accès à la très haute noblesse même lorsqu’elle trônait sur sa chaise percée. Le mode de relation est différent. Les aristocrates reçoivent dans leur chambre, dans leur lit, dans leur ruelle (l’espace laissé entre le lit et le mur de l’alcôve). On partage d’autant plus facilement son lit qu’on dort tout habillé.  C’est d’ailleurs perçu comme un honneur de partager le lit de certains personnages.

Le système du coworking existe aussi. Il n’est pas rare que des avocats, des notaires se mettent à plusieurs pour louer une pièce qui leur sert de cabinet.

 

COOLOC : Et le XIXe siècle vient bouleverser tout cela ?

Alexis Markovics : La répartition et la ségrégation sociale des villes européennes et en particulier à Paris s’imposent vers 1 850-1 900. C’est l’époque des grandes opérations urbanistes. Les grands travaux haussmanniens de rénovation du centre parisien dans les années 1 850 accentuent la ségrégation sociale.  Le capitalisme prend son essor et commence à spéculer sur le prix du foncier qui augmente et entraîne la hausse des prix à la location.

Les maisons sont remplacées par des immeubles bourgeois. Ces derniers sont des produits financiers conçus pour rapporter de l’argent à travers la location des appartements. Le principe de l’immeuble de rapport existe depuis le XVIIIe siècle, mais au XIXe cela devient quasiment le seul mode de construction.

Certains quartiers s’embourgeoisent, par exemple Auteuil à l’ouest de Paris. Situé loin du centre, le quartier est investi par la bourgeoisie et devient chic. Le boulevard Saint Germain, avec ses hôtels particuliers datant de la fin du XVIIIe avait commencé sa mue un peu en avance.

Les usines, les ouvriers, les pauvres sont repoussés en périphérie, car les loyers sont devenus trop élevés au centre de Paris.

Au sein même des immeubles, on assiste à une réorganisation de la circulation. Avec les escaliers de service pour les domestiques, les différentes populations ne se croisent plus. Que ce soit dans les immeubles bourgeois, grands bourgeois ou petits bourgeois, il y a toujours une chambre de bonne attachée au fonctionnement quotidien de l’appartement. Au fur et à mesure qu’on avance au XIXe siècle, la chambre passe de l’appartement aux combles. Les bonnes sont reléguées sous les toits de façon à ne plus vivre avec les maîtres.

 

COOLOC : Qu’en est-il des phalanstères et autre familistères, ces logements destinés aux ouvriers apparus au XIXe siècle ? Ils font une large place à la vie en communauté et à une forme d’habitat partagé avec de grands espaces communs et de petits appartements.

Alexis Markovics : Au XIXe siècle, une population jusque-là rurale se fait embaucher à l’usine et devient ouvrière. La situation des ouvriers est très difficile, tant par les conditions de vie, que les conditions sanitaires. Or un ouvrier bien logé, bien nourri, dans une bonne forme physique travaille mieux et plus longtemps.

Le phalanstère propose des logements hygiéniques, aérés, sains. Il prend en charge l’éducation des enfants. Les soins sont assurés.

Dans le phalanstère de Guise qui a fonctionné jusqu’en 1 968, les espaces communs sont surdimensionnés, alors que les logements sont assez petits. Cela favorise le côté communautaire, incite les habitants à participer à la vie commune. L’idéal à terme était que les ouvriers participent aux prises de décisions au sein de l’usine.

Aujourd’hui on trouve cette tendance dans certaines entreprises multinationales. A l’époque, il s’agissait pour un patronat patriarcal de sauver une population ouvrière en danger. Aujourd’hui, c’est un moyen d’attirer et de retenir les employés.

 

 

COOLOC : Assiste-t-on à un retour du co-living, du co-working ?

Alexis Markovics : L’école Camondo est, depuis quelques années, régulièrement sollicitée pour des projets, des partenariats. Nous sommes interrogés sur la manière d’organiser des espaces dévolus au coliving aussi bien pour des co-locations d’actifs, que de seniors ou de jeunes, ou des espaces de coworking. Par exemple, comment se présente un mobilier caractéristique de la colocation ?

Deux promoteurs et deux bailleurs nous ont posé la question en 2 ans. Tous se rendent compte que les gens ont moins de moyens pour s’offrir une surface suffisante. Les projets sont donc pensés pour donner des espaces communs d’une certaine ampleur

Les bailleurs veulent optimiser les possibilités des espaces pour les adapter à la colocation. Cela concerne l’organisation de l’espace, le mobilier.  Très clairement, ce retour de la co-location reflète des changements sociétaux profonds.

 

Alexis Markovics est directeur pédagogique de l’école Camondo, chercheur en histoire de l’architecture et cofondateur de l’atelier Pampa.

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Crédit photo : Samuel McGinity