Télétravail : vers un nouveau rapport au travail ?

Vie quotidienne
teletravail : vers une nouvelle organisation du travail ?

Le télétravail permettrait-il un nouveau rapport au travail ?  Dans certains pays d’Europe du nord, 35% des travailleurs l’ont adopté. Mais il peinait jusqu’à présent à s’imposer en France où seuls 2% des salariés français bénéficiaient du télétravail à temps complet.

Des chiffres qui ont largement évolué depuis la crise du coronavirus. Aujourd’hui, 25% des salariés travaillent depuis leur domicile. Une situation d’urgence certes mais qui pourrait laisser des traces.

 

Les avantages du télétravail… pour l’entreprise

Plusieurs études en témoignaient déjà avant la crise : le télétravail est apprécié des salariés. Moins distraits, ils sont plus productifs. Ils s’épanouissent mieux professionnellement à 78% d’après une étude réalisée par Polycom en 2017 grâce à la confiance et à l’autonomie dont ils bénéficient.

Les entreprises contraintes d’y recourir pourraient en profiter pour prendre un tournant majeur. Selon une enquête réalisée par Gartner Inc. 74 % des directeurs financiers envisagent sérieusement de conserver au moins 5 % de leur main-d’œuvre en télétravail suite à la pandémie de covid19.

En mettant même une petite partie de leurs employés en télétravail à temps complet, les entreprises réalisent sans trop d’efforts des économies. En immobilier, plus de télétravail signifie aussi moins de dépenses technologiques sur le site de l’entreprise et moins d’espace nécessaire.

La poursuite de l’activité des entreprises en télétravail permet donc d’imposer des solutions qui n’auraient jamais été prioritaires autrement : « La plupart des directeurs financiers reconnaissent que la technologie et la société ont évolué pour rendre le travail à distance plus viable pour une plus grande variété de postes que jamais auparavant» explique Alexander Bant, practice vice president, research for the Gartner Finance Practice, dans un article paru sur le site developpez.com début avril.

Aussi les entreprises s’adaptent. Elles acceptent des horaires de travail plus flexibles, sachant qu’en cette période, il n’y a pas que les salariés qui soient confinés chez eux, mais également leurs enfants.

Pour d’autres, le télétravail s’accompagne également d’une surveillance accrue de ses employés. Sneek, un outil de travail collaboratif, permet de photographier ses employés toutes les 1 à 5 minutes. Le site a vu ses inscriptions multipliées par 10 au cours des dernières semaines. 

 

Télétravail : un autre rapport au travail

Le virage du travail vers le télétravail des entreprises ne doit cependant pas faire l’économie d’une donnée majeure : les employés. Comment ces derniers s’adaptent-ils à cette nouvelle organisation de leurs tâches ? C’est en effet ce que rappelle Jean Pralong, directeur de la chaire Compétences, employabilité et décision RH de l’EM Normandie. Dans une tribune parue dans les Echos Start le 10 avril, il rappelle que les télétravailleurs efficaces ont besoin de 6 compétences :

  • Bien connaître leurs ressources propres et leur mode de fonctionnement
  • Maîtriser le fonctionnement et les ressources de son organisation afin de savoir quand et comment les mobiliser
  • Selon son activité, il doit également savoir mobiliser les personnes et services ressources
  • Comprendre et savoir répondre aux besoins des interlocuteurs, clients externes ou collaborateurs
  • Être à l’aise dans un environnement complexe
  • Et surtout montrer, expliquer ce qu’il fait toute la journée.

En effet, selon Jean Pralong et son équipe, le risque majeur du télétravailleur est de se faire oublier. Aussi recommande-t-il aux employés d’expliquer ce qu’ils font au fur et à mesure, bref raconter leur travail. De leur côté, les managers doivent faire parler les salariés de leur activité, en télé-réunion ou en entretien individuel.

Cette manière de faire reste représentative des habitudes actuelles. Et passer du travail en entreprise au télétravail chez soi peut être anxiogène pour certains salariés. Or cette vague de télétravail à grande ampleur ne pourrait-elle pas déclencher une nouvelle organisation du travail en entreprise ?

 

Le rapport au travail remis en question

Il est de plus en plus courant de s’interroger sur le sens actuel que l’on donne au travail. En 2018, David Graeber, anthropologue américain et professeur à la London School of Economics publie Bull Shits Jobs. Il met en lumière ces métiers inutiles et superflus au point que même les salariés qui les occupent ont du mal à justifier leur existence.

Tous les salariés cependant ne considèrent pas leur métier comme un « job à la con ». Mais l’employé doit se plier aux exigences non seulement de sa profession, mais également à la culture de son entreprise. On ne s’habille ni ne se comporte de la même façon selon que l’on travaille dans une multinationale de La Défense ou dans une start up. Le salarié accepte de mettre de côté sa personnalité au travail, pour ne pas détonner dans le cadre de l’entreprise. Pour nombre de salariés, le travail se justifie par le salaire. La vraie vie reste hors du travail.

Or justement, ce modèle prosaïque est de plus en plus remis en cause. De nouvelles interrogations émergent : pourquoi vit-on ? Quelle est notre place dans le monde ?  Un nombre croissant de salariés se reconvertit ainsi dans des métiers agricoles ou du moins proches de la terre. Trouver du sens à son existence devient un objectif de plus en plus partagé.

 

Une opportunité de se repenser pour les entreprises

Pourquoi réserver cette réflexion sur le travail aux seuls salariés ? Les entreprises auraient tout intérêt à s’appuyer bien davantage sur leurs salariés pour repenser leur organisation montre Frederic Laloux dans son ouvrage Reinventing Organisations. Laloux montre comment certaines entreprises ont totalement changé de paradigme. Renonçant au management pyramidal où les salariés ont d’abord une tâche exécutive, ces entreprises s’appuient sur l’autonomie des employés à tous les niveaux. Ces derniers ne doivent pas rentrer dans le moule de l’entreprise, mais, au contraire, être pleinement eux-mêmes dans leur travail.

Ainsi le sous-traitant automobile Favi, dans le nord de la France se distingue de ses concurrents, pour la plupart chinois en mettant en place des équipes dédiées à ses clients. Tous les membres de l’équipe travaillent ensemble pour répondre et s’adapter aux besoins des clients. Chaque voix d’ouvrier compte pour assurer la satisfaction du client. Non seulement la qualité est au rendez-vous, mais au sein de l’équipe, chacun est reconnu pour son travail et sa contribution. Une exception au sein d’une industrie fondée traditionnellement sur un modèle fordiste.

 

Le travail comme valeur ajoutée pour la planète

Dans un autre domaine, la marque de vêtements Patagonia rassemble des employés passionnés par la même mission : être en accord avec eux-mêmes pour réduire l’empreinte environnementale de l’entreprise. C’est donc peut-être la première marque de mode à demander à ses clients de faire durer leurs vêtements le plus longtemps possible. La décentralisation extrême permet de faire jaillir des initiatives personnelles. Ainsi – bien avant que les grandes entreprises ne s’emparent de l’idée, l’une des employées de l’usine Patagonia de Los Angeles a proposé de planter des arbres pour compenser les émissions de carbone de l’entreprise.  L’opération n’était pas prévue au budget. L’employée a donc sollicité l’avis des personnes concernées, réalisé une évaluation, qui a été acceptée.

Certes ces entreprises ont adopté des modèles de management inédits, mais surtout ont remis le sens et l’humain au cœur de leur organisation. Et cela fonctionne : les salariés sont impliqués, motivés et n’ont pas besoin d’être surveillés pour travailler.

C’est donc peut-être ainsi que pourrait se dessiner le monde demain : une relation de confiance entre entreprises et salariés qui occuperaient des métiers utiles et porteurs de sens pour le bien des humains, mais aussi de la planète…

 

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Crédit photo : Samuel McGinity