Habiter l’infini : l’habitat partagé version 2.0
Architecte, Eric Cassar est le fondateur du cabinet Arkhenspaces, “un terme qui signifie origine ou organisation des ”nspaces” qui sont des sortes d’environnements connectés et connectables grâce aux nouvelles technologies. Ce qui ouvre de nouveaux possibles”. Et c’est en explorant ces nouveaux possibles qu’Eric Cassar a imaginé Habiter l’infini, un projet qui lui a valu le Grand Prix Européen de l’Innovation Le Monde-Smart Cities 2017.
Disposer de l’espace dont on a besoin… au moment où on en a besoin
Cooloc : Comment vous est venue l’idée d’Habiter l’infini?
Eric Cassar : A l’origine, c’est un constat : notre habitat coûte de plus en plus cher. Pourtant, l’espace est vide la plupart du temps. Or les nouvelles technologies ouvrent de nouveaux possibles. On a vu, par exemple, comment le covoiturage s’est transformé grâce au numérique. Le succès de Blablacar montre en effet que les gens n’ont pas peur de partager.
Pourquoi ne pas faire de même avec l’espace habité ? De nombreux espaces restent vides la plupart du temps. Or ils pourraient facilement être partagés. Avec Habiter l’infini, les gens pourraient disposer de 1000 m² d’espace de vie quand ils en ont besoin. Quelqu’un qui ne peut se payer plus qu’un appartement de 30m² pourrait disposer d’un espace de 100 m² ou plus quand il en a besoin.
L’idée est que je dispose d’un espace privé où je peux dormir, manger, me laver, bref, le minimum. Je peux investir dans une sphère intime plus ou moins importante en fonction de mes moyens. L’espace de l’habitat proprement dit est réduit. Cependant, le jour où on en a besoin, on peut retenir une grande salle de bain par exemple …. Ou une grande cuisine pour cuisiner et recevoir ses amis.
Pour les étudiants c’est un moyen de se loger dans de bonnes conditions à un prix décent. C’est aussi idéal pour une personne âgée qui vient à Paris quelques jours par mois pour des rendez-vous. Elle dispose d’un pied à terre. Elle peut y recevoir ses amis si elle le souhaite. Le principe est très simple : si j’ai besoin de plus d’espace, pour une raison ou une autre, je le réserve grâce à une application.
Dans Habiter l’infini, les espaces communs doivent être partagés au maximum pour être viables. Plus on est nombreux à partager, plus l’espace commun est important. Il correspond aux besoins du moment : plutôt que de travailler seul de chez soi, ou dans un espace de coworking fermé, on peut avoir envie de travailler au soleil, ou dans un bureau hors de chez soi… ou dans un espace où les gens circulent. C’est ce qu’offre Habiter l’infini : les choix sont vastes, adaptés à nos envies et aux possibilités à l’instant T.
Un réseau social et local
Cooloc : Comment Habiter l’infini s’appuie sur internet ?
Eric Cassar : Internet permet de connecter les gens ayant des intérêts communs mais sans rapport géographique. Habiter l’infini utilise la force d’internet à travers un réseau d’échange social local. Cela vous permet d’obtenir des informations en temps réel par exemple sur l’affluence dans l’immeuble. S’il y a plusieurs terrasses et que vous voulez lire tranquillement au soleil, vous pouvez voir en temps réel laquelle est la plus vide et la plus ensoleillée. C’est un réseau qui encourage les rencontres physiques, les échanges de services. J’ai besoin d’une voiture, d’une personne pour aider mon fils à faire ses devoirs, je peux le trouver dans l’îlot d’habitations grâce à l’application
C’est donc un réseau social qui met vraiment en relation les gens entre eux. Dans nos villes, on met beaucoup de temps à connaître ses voisins. Parfois on ne les voit jamais car nos vies sont complètement désynchronisés. Ce n’est pas le cas avec Habiter l’infini.
Cooloc : Des immeubles existants pourraient-ils s’adapter à Habiter l’infini ?
Eric Cassar : Ce serait bien sûr possible d’adapter des immeubles, mais c’est toujours moins efficace. Habiter l’infini joue aussi sur les espaces de circulation qui peuvent être habitables. L’efficacité se construit au cas par cas.
Cooloc : Avez vous d’autres projets de coliving en cours?
Eric Cassar : Parmi les projets actuels, un projet de co-living a des chances de se conclure. Il s’agit d’un petit immeuble de bureaux qui va être transformé et surélevé pour devenir un espace de co-living avec des espaces communs. Ces derniers sont hiérarchisés. Ils peuvent accueillir 3 à 6 personnes et se transforment selon les besoins. Un bureau pourrait accueillir 2 personnes pour travailler par exemple et le soir se transformer en chambre d’appoint. Le rôle de l’architecte n’est pas de définir l’usage des espaces mais de créer les possibilités d’usage afin de permettre aux gens de décider comment se les approprier.
Crédit photo : Arkhenspaces