La solitude des jeunes : un fléau de notre temps
La solitude des jeunes, un phénomène préoccupant ? Alors qu’il est souvent question de l’isolement des seniors, les jeunes, pourtant ultra-connectés, avouent eux aussi connaître ce sentiment.
Un fléau diffus
Trop peu prise en compte, la solitude est un phénomène courant : 40 % des Français en ont déjà fait l’expérience. Pour 60 % des personnes interrogées, il s’agit d’une expérience familière.
C’est ce que révèle une étude BVA commandée par l’association Astrée qui lutte depuis plus de 30 ans contre toutes les formes de solitude. « Pour les personnes qui en souffrent, explique l’association, c’est une douleur d’autant plus profonde qu’elle est indicible et inaudible ».
Le sentiment de solitude frappe davantage les jeunes
Les jeunes représentent à eux seuls 60% des personnes concernées selon l’étude BVA. Parmi eux, 43% des collégiens affirment connaître parfois la solitude et 13,5% se sentent souvent ou toujours seuls.
Parmi les explications avancées, il est souvent question de l’influence des écrans qui aurait tendance à isoler les jeunes… Ils peuvent cependant « permettre de reconstruire du lien » avance le sociologue Jean-Claude Kaufmann. « On occulte la dimension créative des réseaux sociaux. Or cela permet de créer son intimité en dehors du regard des adultes » explique la psychopathologue Angélique Gozlan. «Internet est un formidable outil d’ouverture sur le monde, mais pas une fin relationnelle en soi» précise Marion Robin, psychiatre à l’Institut mutualiste Montsouris à Paris et auteur d’Ado désemparé cherche société vivante.
« La solitude des jeunes débute souvent par une hyper connectivité, estime Arnaud Fontaine, un psychologue qui travaille avec de jeunes adultes. Ils sont dans la quantité et mettent en scène leur vie, mais que sur du positif qui n’est pas toujours représentatif de leur quotidien ».
Il s’agit d’un moment d’autant plus délicat que «pendant l’adolescence, on est dans la construction de son réseau et de son identité. C’est donc la course au nombre car la société fait qu’on a besoin de se montrer en compagnie pour se valoriser. L’homme est un animal grégaire. »Dans ces conditions, exprimer sa solitude devient quasiment impossible.
Les jeunes adultes, tout aussi concernés
1,4 million de jeunes de 15 à 30 ans seraient en «vulnérabilité sociale » et 700 000 d’entre eux – soit 6% de cette tranche d’âge – en situation d’isolement social.
Aujourd’hui rappelle le psychologue Jacques Arènes, il n’est pas rare de «recevoir de jeunes adultes qui n’ont plus qu’un ami…virtuel. Quelqu’un avec qui ils communiquent uniquement sur Internet. Ils restent d’autant plus seuls que cet état est difficile à percevoir par l’entourage proche. Ces jeunes ressentent un manque de consistance en eux. Ils sont pris dans un vertige : celui naissant des choix qu’ils ont à faire, eux seuls, ou encore de la perception de leurs limites intérieures. »
Un changement de société
Le sentiment d’isolement peut être d’autant plus mal ressenti que la société évolue. D’une société encadrée, où les individus appartiennent à un groupe dont ils connaissent les règles, nous sommes passés à une société flexible, où les individus sont autonomes, où les compétences relationnelles sont mises en valeur analyse Jean-Claude Kaufmann.
Or pour les adolescents introvertis, difficile de se constituer un réseau. Certains mettent en place des stratégies d’évitement, par exemple en se repliant sur une passion. Mais cela « ne peut constituer qu’une façade. Si un nouveau facteur négatif vient s’ajouter à ceux déjà présents, la bulle éclate.» Ce que confirme Marion Robin : «Cette protection ne fonctionne que très transitoirement : le besoin d’une relation à l’autre reste là et la peur peut même augmenter avec le repli.»
Avancer dans la vie n’épargne pas la solitude
La solitude n’épargne pas les quadragénaires, quinquagénaires ni même les sexagénaires. Jacques Arènes parle de « solitude de bilan », qui s’accompagne d’une amertume ou frustration dont il est difficile de se détacher. « Cela peut concerner notamment les personnes ayant peu de liens avec leurs enfants, divorcés, ou qui ont une vie de couple conflictuelle » souligne le thérapeute.
Des facteurs à l’origine et conséquence de l’isolement
Départ du domicile parental, célibat, éloignement, perte de travail qui pour certains équivaut à la perte de leur place dans la société ou situation de précarité – qui se traduit par un appartement où l’on ne veut pas recevoir ou un budget trop serré pour se permettre des sorties – accentue l’isolement. «La solitude est multifactorielle et résulte souvent d’un enchaînement d’événements», analyse le Crédoc, dans une étude publiée en 2017.
Sans compter les problèmes de santé qui rendent difficiles la sociabilité : troubles auditifs ou psychiatriques peuvent être l’origine ou la conséquence de l’isolement social. Ainsi, explique le Docteur Lejuste, la période entre 15 et 30 ans est capitale : «Les jeunes qui ont des problèmes psychiques rapportent très souvent leur souffrance à des facteurs centraux comme l’isolement » explique-t-il. Selon les spécialistes, travailler le lien aux autres permet de surmonter l’isolement. Activités sportives, artistiques ou encore soutien scolaire… « Des partenaires associatifs leur permettent de gagner en sociabilité, rappelle Florian Lejuste. En tant que médecin, nous orientons nos patients en fonction de leur degré d’isolement.»
Il n’est pas anodin que des médecins se penchent sur les moyens de rompre l’isolement social, tant le phénomène provoque de méfaits, parfois pires que le tabac ou l’alcoolisme.
L’isolement des jeunes : la faute du QI ?
En 2016, une étude menée par les neuropsychologues Satoshi Kanazawa de la London School of Economics et Norman Li de la Singapore Management University, publiée par le British Journal of Psychology démontrait que les 18-29 ans solitaires avaient un QI très souvent nettement supérieur à ceux qui sont ultra sociabilisés. Un résultat qui n’étonne pas Carol Graham, psychologue du bonheur : « Les jeunes qui sont intelligents passent moins de temps avec les autres car ils sont focalisés sur des objectifs à long terme plus importants. »
« Les gens très sociabilisés veulent à tout prix se conformer à la société. La pression sociale est plus lourde pour eux. Les autres, ceux qui le sont moins ou pas, prennent de la distance face à cela et préfèrent cibler leurs propres besoins » estime quant à lui Arnaud Fontaine.
La solitude, un concept ressenti
Combattre la solitude est instinctif, selon la Pyramide de Maslow. Elle montre que le besoin d’appartenance, d’avoir des amis, de se sentir accepté vient directement après la satisfaction des besoins physiologiques et de se sentir en sécurité.
Or pour lutter contre le sentiment de solitude, pas besoin de se faire des myriades d’amis et de connaissance, explique Arnaud Fontaine, « la solitude est concept ressenti, pas forcément réel. Il s’agit donc clairement de qualité plus que de quantité.»
Ainsi, s’investir dans des activités collectives sportives ou associatives permet de rebooster l’estime de soi. Des initiatives se lancent un peu partout. L’Association française des solos propose aux personnes seules ou isolées des activités sportives ou ludiques pour se rencontrer et lier des amitiés. Mais elles ne s’adressent pas forcément aux jeunes.
Changer de mode de vie pour combattre la solitude des jeunes, surtout lorsqu’on est à la tête d’une famille monoparentale est aussi une solution. Co-location ou chambre contre services permettent de construire des relations et de combattre ce sentiment de solitude.
C’est ce qu’a remarqué Virginie, maman solo de deux filles. « Depuis que nous avons une co-locataire, mes filles sont beaucoup plus curieuses. Elles discutent davantage, elles sont plus ouvertes, elles passent moins de temps devant les écrans… »
Le mal du siècle, la solitude, pourrait donc être aisément résolu. Plutôt que de vivre isolés les uns à côté des autres, peut-être suffit-il juste de choisir de vivre ensemble ?
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