Manger sain : vers la reprise en main de notre alimentation ?

« Manger sain ! » Vous entendez ce mantra depuis des années… et vous commencez même progressivement à l’appliquer. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il a changé de sens.
Au départ, il s’agissait d’une injonction virulente pour lutter contre le trop gras, trop salé, trop sucré… En gros, tout ce qui est mauvais comme on aime en fait ! Et cela au profit de légumes vapeur et du yaourt 0%. Pas très palpitant en soi.
Manger sain aujourd’hui, n’a plus la même signification. Depuis des années, les scandales alimentaires se succèdent. La malbouffe fait des ravages. Or nous avons pris conscience que notre bien-être passe aussi par notre alimentation. Notre rapport à l’assiette évolue. Et derrière notre envie de « manger sain » se cache une volonté de reprendre en main notre alimentation… et par là-même de reconquérir une forme de liberté.
Manger sain, bien plus qu’une histoire de cuisine
Depuis un peu plus d’une dizaine d’années, le fait maison est à l’honneur. Les livres de cuisine ne se comptent plus, qu’ils soient hyper spécialisés ou qu’ils dédramatisent la cuisine. Sans parler des groupes Facebook ou Instagram, ou des blogs culinaires plus inspirants les uns que les autres.
Le phénomène est révélateur à plus d’un titre. D’une part, l’envie de reprendre en main son alimentation. Car manger sain, c’est d’abord savoir ce que l’on met dans son assiette.
Dans une enquête publiée en 2017, le Ministère de l’Agriculture observait « la volonté de certains consommateurs de maîtriser le contenu de leur repas et la manière dont il a été préparé ». Fatigués des scandales alimentaires et des substances douteuses de la nourriture industrielle, alertés par les risques encourus en cas de surpoids, les consommateurs réagissent en recherchant plus de produits locaux ou bio.
Alors que l’offre de produits ultra-transformés semble avoir toujours de beaux jours devant elle, le phénomène du fait maison explose. Recettes de Nutella maison – sans huile de palme-, barres de céréales, plats savoureux en 3 ingrédients et 5 minutes seulement… Le net regorge maintenant de recettes proposant une version healthy de leurs équivalents industriels.
Cette vogue du fait-maison vient de l’envie de manger sain, certes. Mais c’est aussi un besoin d’adapter son alimentation à son goût et à ses besoins. Moins de sucres et de sel, davantage de goût et d’aliments de qualité. En choisissant de manger sain, vous vous faites plaisir. Sans compter que vous évitez les mauvaises surprises sur la balance. Et vous faites comme vous voulez. Vous pouvez miser sur des aliments bon pour vous, votre vitalité, votre peau, vos cheveux, votre moral… Mais surtout, en décidant de « manger sain » aujourd’hui, vous reprenez votre liberté face aux sirènes du marketing et de l’agro-alimentaire.
Reprendre la maîtrise de son temps
Faire son propre levain, éplucher des carottes ou écosser des petits pois demande du temps,. Nous sommes bien loin de l’immédiateté dont notre époque est friande. Or « le temps disponible, c’est le plus grand luxe dans notre société » insistent les animateurs du podcast La grosse bouffe Bertrand et Thomas, qui abordent « le bien boire et le bien manger » sous un angle sociologique. Prendre le temps de cuisiner et de penser à son alimentation serait une forme de luxe, pour vivre mieux.
Un moment de partage … des connaissances
Ce temps passé en cuisine est donc le moyen de se trouver, voire de se retrouver en famille… Et d’en profiter pour consolider les connaissances acquises à l’école par exemple.
Car calculer le nombre d’œufs ou de grammes de farine pour faire un gâteau devient plus alléchant si l’opération se situe directement dans la cuisine… et non devant un cahier de mathématiques. Lire une recette permet aussi d’appliquer ce qu’on apprend en classe : lecture, vocabulaire, respect des consignes. Soit autant de gestes appliqués naturellement dès lors que cela se passe en cuisine. Les enfants mobilisent leurs connaissances, développent leur confiance en eux. Tout cela avec la fierté de cuisiner ! Les bienfaits du manger sain se cachent décidément partout.
C’est ce que tendent à démontrer des études sur le sujet. Les enfants qui ont bénéficié de cours de cuisine pendant les leçons de mathématiques ont vu leurs résultats s’améliorer de façon significative. Sans oublier qu’ils apprennent aussi les fondamentaux du « manger sain ». Une étude de 2014 portant sur un groupe de quarante-sept enfants a montré qu’ils mangeaient davantage de viande et de légumes lorsqu’ils avaient cuisiné avec leurs parents et se sentaient mieux que lorsque leurs parents avaient cuisiné seuls.
La cuisine est donc un espace de liberté, de connaissance et de bien-être. C’est aujourd’hui évident pour beaucoup, mais semble encore inaccessible à certaines franges de la population.
Un luxe pour certains ?
Manger sain reste cependant bien loin des priorités lorsque les fins de mois sont difficiles. Les produits ultra-transformés, saturés de graisses et de sucres restent très accessible. Au contraire, les produits labellisés bio coûtent en moyenne deux fois plus cher que les produits sans label.. Une catastrophe sanitaire : trop riches énergétiquement, ils sont nutritionnellement dramatiquement pauvres. « C’est catastrophique pour l’organisme. Mais voilà, ces aliments ont l’avantage de combler vite, dans tous les sens du terme, et de couper la faim rapidement. Car ce sont des concentrés de calories, que les nutritionnistes disent « calories vides », mais ce sont des calories peu chères. », déplore la chercheuse Maria-Isabel Mesana.
Leur consommation régulière, voire surconsommation, entraîne à terme surpoids et problèmes de santé. En 2016, l’OMS dénombrait 2,8 millions de décès dans le monde, lié directement au surpoids. Récemment, il est apparu que la moitié des victimes du Covid-19 étaient obèses. Cela n’étonne pas Yves Leers, auteur de La fabrique de l’obésité. « La plupart des personnes obèses sont également victimes de maladies chroniques, comme le diabète ou les troubles cardio-vasculaires. Ils ont été frappés par le coronavirus d’abord en raison d’un mauvais état de santé, comme l’a répété le Réseau Environnement Santé. »
Dans certains quartiers, apparaissent cependant des signaux encourageants. Les habitants, notamment les parents, estiment que précarité ne doit pas rimer avec malbouffe. Les associations Ensemble pour les Enfants de Bagnolet ou Ensemble pour les Enfants de Montreuil demandent des repas végétariens à la cantine, afin d’éviter à leurs enfants une viande industrielle de basse qualité. Pour se faire entendre, elles organisent des pique-niques végétariens. C’est l’occasion d’aborder avec les habitants des quartiers d’autres questions écologiques et sociales : l’alimentation, l’accès aux espaces verts, le lien intergénérationnel, les méfaits du numérique…
Economies et entraide
Mais peut-on vraiment concilier alimentation de qualité et économies ? C’est ce que démontre une population de plus en plus nombreuse d’étudiants précaires. L’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) évaluait en 2015 à 19 % la part des étudiants vivant en-dessous du seuil de pauvreté. Comment manger sain dans ces conditions ?
Renoncer à la viande, privilégier les circuits courts et locaux, acheter en vrac… Les étudiants, notamment les plus écologistes, trouvent des solutions. Certains comme Léa, étudiante à Paris, se sont ainsi essayés au freeganisme, qui consiste à récupérer les légumes jetés d’enseignes alimentaires comme Biocoop ou La Vie Claire. « Ça peut paraître étonnant, mais on ne se rend pas compte du nombre de légumes dont on peut disposer dans la capitale.» Elle a fini par monter une Amap auprès d’un producteur de Rambouillet. Pour 10 €, les adhérents obtiennent un panier garni de légumes frais. « C’est un moyen efficace et économe pour les étudiants de soutenir un agriculteur et d’avoir accès à des produits de très bonne qualité » estime Léa.
Une alimentation de qualité pourrait être accessible à tous, à condition de le savoir. Information et sensibilisation sont donc fondamentales auprès des populations dont les habitudes alimentaires dépendent en premier lieu du prix des denrées.
Des villes en pointe pour manger sain
Il s’agit là d’une question de fond que tentent de résoudre certaines municipalités.
Visant une meilleure autonomie alimentaire, de nombreuses municipalités s’impliquent dans l’agriculture locale. Si l’objectif reste compliqué pour les grandes villes, l’objectif est plus accessible pour les villes moyennes.
Vannes a ainsi mis en place une filière locale qui lui permet de fournir en fruits et légumes bio toutes les crèches municipales. Elle espère d’ici peu fournir également toutes les cantines scolaires.
Albi de son côté s’est fixé l’objectif ambitieux de parvenir à l’autonomie alimentaires en couvrant tous ses besoins dans un rayon de 60 km. Depuis plusieurs années, la ville préempte les friches proches du centre-ville et les loue à un tarif préférentiel aux agriculteurs locaux, qui en échange s’engagent à cultiver du bio et à réserver leur production au marché local. Les espaces verts communaux sont mis à disposition des habitants qui souhaitent planter légumes et fruits. La récolte est libre et gratuite.
Un exemple à suivre ? Les volontés politiques ne manquent pas. Et les citoyens sont réceptifs.
Maneesh Gobin, ministre de l’Agro-industrie et de la Sécurité alimentaire de l’Île Maurice expliquait, pendant le confinement, «nous devons planter ce que nous mangeons et manger ce que nous plantons». Un constat largement partagé par les citoyens du monde entier.
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Crédit photo : Samuel McGinity