Colocation et habitat selon Fiona Meadows : “l’obligation d’inventer d’autres façons d’habiter”

Témoignages
Colocation et habitat selon Fiona Meadows : “l’obligation d’inventer d’autres façons d’habiter”

La colocation oui, dans des habitats réinventés. Fiona Meadows est architecte, en charge du programme consacré à la petite architecture, à la Cité de l’architecture et du patrimoine. Passionnée par la manière dont l’habitat se réinvente en permanence, elle s’intéresse aux habitats temporaires et à la colocation.

 

COOLOC : On pense que l’architecture est faite pour durer. Vous vous intéressez, au contraire, à l’architecture modulable, temporaire. Pourquoi ?

Fiona Meadows : A la Maison de l’Architecture, j’ai commencé à collectionner toutes les façons d’habiter, notamment de nouvelles formes d’habitat qui ne sont pas forcément en dur. En effet, l’architecture durable, celle des sédentaires, est aujourd’hui une valeur dominante. Pourtant des milliers de personnes dans le monde habitent dans des campements. Cela peut être un habitat choisi ou subi.

J’avais fait une exposition à la Cité de l’Architecture qui s’appelait  “Habiter le campement” en 2016. Là, je me suis beaucoup intéressée à tout ce qui était festivalier. Au festival Burning Man (dans le désert du Nevada ndlr), c’est une ville entière qui apparaît. C’est incroyable. A La Mecque, des villes blanches se construisent le temps du pèlerinage. Je suis fascinée par ces formes de villes temporaires que sont les campements.

 

Néo-nomadisme

COOLOC : Vous avez également identifié d’autres formes d’habitat, comme les néo-nomades. Quelles différences avec les nomades traditionnels ?

Fiona Meadows : Il s’agit d’un mouvement né en Angleterre dans les années 1970. Ce sont des gens qui ont quitté la ville où il n’y avait plus de travail pour aller travailler dans les campagnes comme saisonniers.

On les trouve aussi en France. Ce sont des saisonniers. Ils font les vendanges, ils ramassent les fraises. Certains lavent les vitres des tours de La Défense, une à deux fois par an. Ils travaillent dans les stations de ski. Ils se déplacent en groupe et vivent dans des camions qu’ils ont complètement aménagés comme des appartements.

C’est un choix de vie. Ils ont la liberté de se déplacer avec leur maison pour aller chercher du travail. En général, ils sont un peu punks. Ils n’ont rien à voir avec les nomades traditionnels comme les Mongols, les Peuls, qui se déplacent en fonction des besoins de leur bétail. Ni même des Gitans qui vont des campagnes vers les villes pour aller chercher du travail.

Dans la population des néo-nomades, on compte également les cols blancs. Ce sont des salariés qui sont toujours en déplacement. Ils passent plus de temps à l’hôtel et dans les avions que chez eux. Ils habitent pratiquement les chambres d’hôtel.

 

Des logements loin de l’image des forains

COOLOC : Vous parlez également des logements des forains.

Fiona Meadows : Je suis fascinée par les camions des forains. C’est très technologique, très high tech. Cela ne correspond pas du tout à l’image des gens de fêtes foraines, qu’on imagine dans des caravanes un peu glauques.

Au contraire, leurs camions renferment de vraies maisons ambulantes. Ce n’est pas du tout du bricolage ou des produits de deuxième main. Ça roule sur la route, mais une fois arrêtées, ce sont de véritables maisons extensibles. Ils se font faire des habitats sur-mesure exceptionnels par des constructeurs spécialisés, car ils vivent à l’année dans leur camion.

 

Colocation et habitat : la solution de la cabane

COOLOC : Vous travaillez beaucoup sur le concept de la cabane, nouvel habitat pour la colocation.

Fiona Meadows : Je suis obsédée par cet abri primitif qu’est la cabane. J’ai organisé en janvier 2019 une exposition au Maif Social Club, intitulée “Habiter dans les branches” avec des architectes paysagistes barcelonais.

Nous avions imaginé une cabane idéale où l’on pouvait habiter à plusieurs, une cabane pour la colocation ! J’avais demandé qu’on remette en cause la typologie classique de l’habitat F2, F3, F4. Je voulais qu’on parte des usages : “se reposer”, “s’intimer”, “se beauter”, “siester”… A chaque verbe, correspondait une pièce destinée à cet usage.

C’est un projet qui montrait qu’on pouvait habiter autrement, en fonction des usages qu’on fait des pièces.

 

Repenser l’habitat

COOLOC : C’est donc une remise en cause de l’habitat traditionnel ?

Fiona Meadows : Je pense que la jeunesse aura envie d’autre chose que de la manière dont vivent leurs parents. Vu l’explosion de la famille nucléaire et le nombre de divorces, on va être dans l’obligation d’inventer d’autres façons d’habiter ensemble ou même d’habiter tout court. L’exposition à la Maif a accueilli plus de 20 000 visiteurs en 2 mois et demi. Il n’y a jamais eu autant de monde.

Les retours ont été hyper positifs de la part des visiteurs. Les gens sont prêts à revoir la typologie de leur habitat. Mais pour le moment, il n’y a aucune proposition, pas même utopique dans les lieux d’exposition.

 

Un manque de recherche sur les besoins entre colocation et habitat

Pourtant, il y aurait sûrement des gens intéressés. En recherche et développement, l’innovation porte surtout sur l’isolation thermique. Ou alors, dans le partage des pièces communes mais c’est très limité. On peut aller beaucoup plus loin. Il y a une population de jeunes qui est prête à essayer autre chose. Mais le manque de logements est tel que ça empêche peut-être la créativité. Il n’y a pas assez de logements. Donc on construit du logement standard. Et on ne se donne pas le temps d’imaginer comment habiter autrement.

Moi j’aimerais imaginer un habitat collectif  qui reprenne le principe de la cabane. Il existe déjà des petites cabanes intelligentes mais elles sont individuelles. Ce qui m’intéresserait, c’est habiter ensemble dans une cabane collective et écologique.

 

COOLOC : Ce que la législation ne permet pas encore aujourd’hui.

Fiona Meadows : En effet, c’est très difficile aujourd’hui d’obtenir un permis pour tout ce qui est habitat temporaire en France. Vous ne pouvez pas installer une yourte dans votre propre jardin. Vous devez demander une autorisation à la mairie. Et on peut vous casser les pieds et vous la refuser. Aujourd’hui, la loi ne prend pas en compte les nouveaux modes d’habitat. Mais des collectifs se mobilisent pour changer la législation.

 

La colocation chez soi, une nouvelle forme d’habitat

COOLOC : En attendant de vivre en colocation dans un habitat de type cabane, vous-même vous vivez en colocation chez vous. Pourquoi ?

Fiona Meadows : Depuis 15 ans, une partie de ma maison est occupée par des colocataires. Au départ, je ne voulais pas vivre seule dans ma grande maison. Je trouvais que c’était plus sympa d’accueillir des Américains, des Mexicains, des étudiants, des jeunes travailleurs. Ils n’ont pas forcément les moyens de se payer un studio. A la maison, ils ont une qualité de vie correcte me semble-t-il. Les chambres sont grandes. Elles font 15 m2  et donnent sur un beau jardin plein sud.

Nous sommes un peu moins de 10. Certains partent, reviennent, d’autres restent 2-3 ans. Ça se passe très bien.

 

Vivre ensemble mais en toute autonomie

Tous vivent de façon assez indépendante les uns des autres. Beaucoup sont étudiants et vivent leur vie. Ils ont des emplois du temps très différents. Ça tourne toute la journée. Certains partent le week-end, d’autres sont là 3 jours par semaine, c’est très varié.

Dans la maison, il y a plusieurs cuisines et ils se répartissent l’espace librement. Cette maison permet d’être très autonome. Mais quand il fait beau l’été, on les voit beaucoup dans le jardin.  Et il arrive qu’ils soient tous autour de la table.

COOLOC : Comment choisissez-vous vos colocataires ?

Fiona Meadows : Ils sont chez moi pour raisons économiques. Ils n’ont pas forcément de gros moyens, ni de garants. Or c’est de plus en plus difficile et cher de louer dans le grand Paris.

C’est mon mari qui choisit les colocataires. Il est d’origine africaine et cela étonne parfois les gens d’être reçus par un Africain. Comme il connaît toute la colocation beaucoup mieux que moi, il est plus à même de choisir les gens qui vont apporter quelque chose.

Nos colocataires sont plutôt des gens qui s’intéressent à l’art ou qui ont une activité artistique. Je suis architecte, mon mari est artiste. On aime aller au théâtre, au cinéma et partager. Si nous avions comme colocataires des banquiers qui ne s’intéressent qu’à la bourse et n’ouvrent pas un livre – et nous en avons eu- ce serait moins intéressant.

 

Colocation, un habitat sous le signe de l’art

Pour autant, nous n’avons pas que des artistes ou des intellectuels. Nous avons eu un ingénieur qui travaillait dans le secteur ferroviaire. En même temps, il fait partie d’une association qui intervient dans les hôpitaux auprès des enfants avec des Playmobil. Nous avons adoré ça chez lui.

Nous accueillons aussi des gens qui ont eu beaucoup de difficultés à trouver un logement, par exemple une jeune restauratrice de tableaux.  Elle n’arrivait pas à se loger, tout cela parce qu’elle est roumaine.

Nous avons aussi eu un transgenre que nous avons beaucoup aimé. Lui aussi avait du mal à trouver un logement. Peut-être faisait-il peur aux propriétaires ? Chez nous, il pouvait s’habiller avec des fourrures ou de façon un peu excentrique, cela ne nous gênait pas du tout. L’idée, c’est d’accueillir des gens qui apportent quelque chose à la communauté.

 

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Crédit photo : Edouard Richard / MAIF